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Osez le croire, osez vous secourir :
Suivez du moins cette auguste amazone ;
C’est votre appui, c’est le soutien du trône[1],
C’est par son bras que le maître des rois
Veut rétablir nos princes et nos lois.
Jeanne avec vous chassera la famille
De cet Anglais si terrible et si fort :
Devenez homme ; et, si c’est votre sort
D’être à jamais mené par une fille,
Fuyez au moins celle qui vous perdit,
Qui votre cœur dans ses bras amollit ;
Et, digne enfin de ce secours étrange,
Suivez les pas de celle qui vous venge. »
AvL’amant d’Agnès eut toujours dans le cœur,
Avec l’amour un très-grand fond d’honneur.
Du vieux soldat le discours pathétique
A dissipé son sommeil léthargique,
Ainsi qu’un ange, un jour, du haut des airs,
De sa trompette ébranlant l’univers,
Rouvrant la tombe, animant la poussière,
Rappellera les morts à la lumière.
Charle éveillé, Charle bouillant d’ardeur,
Ne lui répond qu’en s’écriant : « Aux armes ! »
Les seuls combats à ses yeux ont des charmes.
Il prend sa pique, il brûle de fureur.
DeBientôt après la première chaleur
De ces transports où son âme est en proie,
Il voulut voir si celle qu’on envoie
Vient de la part du diable ou du Seigneur,
Ce qu’il doit croire, et si ce grand prodige
Est en effet ou miracle ou prestige.
Donc, se tournant vers la fière beauté,
Le roi lui dit, d’un ton de majesté
Qui confondrait tout autre fille qu’elle :
« Jeanne, écoutez : Jeanne, êtes-vous pucelle ? »
Jeanne lui dit : « Ô grand sire, ordonnez
Que médecins, lunettes sur le nez,
Matrones, clercs, pédants, apothicaires,

  1. Voltaire avait déjà dit dans la Henriade, chant VII, vers 269 :

    La honte des AnglEt vous brave amazone,
    La honte des Anglais et le soutien du trône.