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À son épée il court auprès du lit ;
Il cherche en vain, l’épée est disparue ;
Point de culotte ; il se frotte la vue,
Il gronde, il crie, et pense fermement
Que le grand diable est entré dans le camp.
CeAh ! qu’un rayon de soleil et qu’un âne,
Cet âne ailé qui sur son dos a Jeanne,
Du monde entier feraient bientôt le tour !
Jeanne et Denis arrivent à la cour.
Le doux prélat sait par expérience
Qu’on est railleur à cette cour de France.
Il se souvient des propos insolents
Que Richemont lui tint dans Orléans,
Et ne veut plus à pareille aventure
D’un saint évêque exposer la figure.
Pour son honneur il prit un nouveau tour ;
Il s’affubla de la triste encolure
Du bon Roger, seigneur de Baudricour[1],
Preux chevalier et ferme catholique,
Hardi parleur, loyal et véridique ;
Malgré cela pas trop mal à la cour.
Pr « Eh ! jour de Dieu ! dit-il, parlant au prince,
Vous languissez au fond d’une province,
Esclave roi, par l’Amour enchaîné !
Quoi ! votre bras indignement repose !
Ce front royal, ce front n’est couronné
Que de tissus et de myrte et de rose !
Et vous laissez vos cruels ennemis
Rois dans la France et sur le trône assis !
Allez mourir, ou faites la conquête
De vos États ravis par ces mutins :
Le diadème est fait pour votre tête,
Et les lauriers n’attendent que vos mains.
Dieu, dont l’esprit allume mon courage ;
Dieu, dont ma voix annonce le langage,
De sa faveur est prêt à vous couvrir.

  1. Il ne s’appelait point Roger, mais Robert : cette faute est légère. Ce fut lui qui mena Jeanne d’Arc à Tours, en 1429, et qui la présenta au roi. (Note de Voltaire, 1762.) C’était un bon Champenois qui n’y entendait pas finesse. Son château était auprès de Brienne en Champagne. J’ai vu sa devise sur la porte de ce pauvre château : c’était un cep de vigne, avec la légende Beau, dru, et court. On peut juger par là de l’esprit du temps. (Id., 1773.)