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TROISIÈME PARTIE

Que les hommes, ayant pour la plupart défiguré, par les opinions qui les divisent, le principe de la religion naturelle qui les unit, doivent se supporter les uns les autres.

 
   L’univers est un temple où siége l’Éternel.
Là chaque homme[1] à son gré veut bâtir un autel.
Chacun vante sa foi, ses saints et ses miracles,
Le sang de ses martyrs, la voix de ses oracles.
L’un pense, en se lavant cinq ou six fois par jour,
Que le ciel voit ses bains d’un regard plein d’amour,
Et qu’avec un prépuce on ne saurait lui plaire ;
L’autre a du dieu Brama désarmé la colère,
Et, pour s’être abstenu de manger du lapin,
Voit le ciel entr’ouvert, et des plaisirs sans fin.
Tous traitent leurs voisins d’impurs et d’infidèles
Des chrétiens divisés les infâmes querelles
Ont, au nom du Seigneur, apporté plus de maux,
Répandu plus de sang, creusé plus de tombeaux,
Que le prétexte vain d’une utile balance
N’a désolé jamais l’Allemagne et la France.
   Un doux inquisiteur, un crucifix en main,
Au feu, par charité, fait jeter son prochain,
Et, pleurant avec lui d’une fin si tragique,
Prend, pour s’en consoler, son argent qu’il s’applique ;
Tandis que, de la grâce ardent à se toucher,
Le peuple, en louant Dieu, danse autour du bûcher.
On vit plus d’une fois, dans une sainte ivresse,
Plus d’un bon catholique, au sortir de la messe,
Courant sur son voisin pour l’honneur de la foi,

  1. Chaque homme signifie clairement chaque particulier qui veut s’ériger en législateur ; et il n’est ici question que des cultes étrangers, comme on l’a déclaré au commencement de la première partie. (Note de Voltaire, 1756.)