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POËME SUR LA LOI NATURELLE.

Ils lui font tenir tous un différent langage
Tous se sont donc trompés. Mais détournons les yeux
De cet impur amas d’imposteurs odieux[1] ;
Et, sans vouloir sonder d’un regard téméraire
De la loi des chrétiens l’ineffable mystère,
Sans expliquer en vain ce qui fut révélé,
Cherchons par la raison si Dieu n’a point parlé.
   La nature a fourni d’une main salutaire
Tout ce qui dans la vie à l’homme est nécessaire,
Les ressorts de son âme, et l’instinct de ses sens.
Le ciel à ses besoins soumet les éléments.
Dans les plis du cerveau la mémoire habitante
Y peint de la nature une image vivante.
Chaque objet de ses sens prévient la volonté ;
Le son dans son oreille est par l’air apporté ;
Sans efforts et sans soins son œil voit la lumière.
Sur son Dieu, sur sa fin, sur sa cause première,
L’homme est-il sans secours à l’erreur attaché ?
Quoi ! le monde est visible, et Dieu serait caché ?
Quoi ! le plus grand besoin que j’aie en ma misère
Est le seul qu’en effet je ne puis satisfaire ?
Non ; le Dieu qui m’a fait ne m’a point fait en vain :
Sur le front des mortels il mit son sceau divin.
Je ne puis ignorer ce qu’ordonna mon maître ;
Il m’a donné sa loi, puisqu’il m’a donné l’être.
Sans doute il a parlé ; mais c’est à l’univers :

Il n’a point de l’Égypte habité les déserts[2] ;

Delphes, Délos, Ammon, ne sont pas ses asiles ;
Il ne se cacha point aux antres des sibylles.
La morale uniforme en tout temps, en tout lieu,
À des siècles sans fin parle au nom de ce Dieu.
C’est la loi de Trajan, de Socrate, et la vôtre.
De ce culte éternel la nature est l’apôtre.
Le bon sens la reçoit ; et les remords vengeurs,
Nés de la conscience, en sont les défenseurs ;

  1. Il faut distinguer Confutzée, qui s’en est tenu à la religion naturelle, et qui a fait tout ce qu’on peut faire sans révélation. (Note de Voltaire, 1756.)
  2. Voltaire avait dit dans Sémiramis, acte I, scène v :

    Comme si loin de nous le Dieu de l’univers
    N’eût mis la vérité qu’au fond de ces déserts.


    C’est l’idée de Lucain dans la Pharsale, livre IX, vers 476-477.