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PREMIÈRE PARTIE

Dieu a donné aux hommes les idées de la justice, et la conscience pour les avertir, comme il leur a donné tout ce qui leur est nécessaire. C’est là cette loi naturelle sur laquelle la religion est fondée ; c’est le seul principe qu’on développe ici. L’on ne parle que de la loi naturelle, et non de la religion et de ses augustes mystères.

 
   Soit qu’un Être inconnu, par lui seul existant,
Ait tiré depuis peu l’univers du néant ;
Soit qu’il ait arrangé la matière éternelle ;
Qu’elle nage en son sein, ou qu’il règne loin d’elle[1] ;
Que l’âme, ce flambeau souvent si ténébreux,
Ou soit un de nos sens ou subsiste sans eux ;
Vous êtes sous la main de ce maître invisible.
    Mais du haut de son trône, obscur, inaccessible,
Quel hommage, quel culte exige-t-il de vous ?
De sa grandeur suprême indignement jaloux,
Des louanges, des vœux, flattent-ils sa puissance ?
Est-ce le peuple altier conquérant de Byzance,
Le tranquille Chinois, le Tartare indompté,
Qui connaît son essence, et suit sa volonté ?
Différents dans leurs mœurs ainsi qu’en leur hommage,

  1. Dieu étant un être infini, sa nature a du être inconnue à tous les hommes. Comme cet ouvrage est tout philosophique, il a fallu rapporter les sentiments des philosophes. Tous les anciens, sans exception, ont cru l’éternité de la matière ; c’est presque le seul point sur lequel ils convenaient. La plupart prétendaient que les dieux avaient arrangé le monde ; nul ne croyait que Dieu l’eût tiré du néant. Ils disaient que l’intelligence céleste avait, par sa propre nature, le pouvoir de disposer de la matière, et que la matière existait par sa propre nature.

    Selon presque tous les philosophes et les poëtes, les grands dieux habitaient loin de la terre. L’âme de l’homme, selon plusieurs, était un feu céleste ; selon d’autres, une harmonie résultante de ses organes ; les uns en faisaient une partie de la Divinité, divinæ particulam auræ ; les autres, une matière épurée, une quintessence ; les plus sages, un être immatériel mais, quelque secte qu’ils aient embrassée, tous, hors les épicuriens, ont reconnu que l’homme est entièrement soumis à la Divinité. (Note de Voltaire, 1756.)