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416 SIXIÈME DISCOURS.

Vous me pressez en vain ; cette vaste science. Ou passe ma portée, ou me force au silence. Mon esprit, resserré sous le compas français. N'a point la liberté des Grecs et des Anglais. Pope a droit de tout dire, et moi je dois me taire. A Bourge * un bachelier peut percer ce mystère ; Je n'ai point mes degrés, et je ne prétends pas Hasarder pour un mot de dangereux combats. Écoutez seulement un récit véritable. Que peut-être Fourmont- prendra pour une fable, Et que je lus hier dans un livre chinois Qu'un jésuite à Pékin traduisit autrefois.

Un jour quelques souris se disaient l'une à l'autre : « Que ce montle est charmant ! quel empire est le nôtre ! Ce palais si superbe est élevé pour nous; De toute éternité Dieu nous fit ces grands trous : Vois-tu ces gras jambons sous cette voûte obscure ? Ils y furent créés des mains de la Nature ; Ces montagnes de lard, éternels aliments. Sont pour nous en ces lieux jusqu'à la fin des temps. Oui, nous sommes, grand Dieu, si l'on en croit nos sages. Le chef-d'œuvre, la fin, le but de tes ouvrages. Les chats sont dangereux et prompts à nous manger ; Mais c'est pour nous instruire et pour nous corriger. »

Plus loin, sur le duvet d'une herbe renaissante. Près des bois, près des eaux, une troupe innocente De canards nasillants, de dindons rengorgés, De gros moutons bêlants, que leur laine a chargés. Disait : « Tout est à nous, bois, prés, étangs, montagnes ; Le ciel pour nos besoins fait verdir les campagnes. » L'âne passait auprès, et, se mirant dans l'eau, Il rendait grâce au ciel en se trouvant si b^^^u : « Pour les ânes, dit-il, le ciel a fait la terre; L'homme est né mon esclave, il me panse, il me ferre. Il m'étrille, il me lave, il prévient mes désirs, Il bâtit mon sérail, il conduit mes plaisirs; Respectueux témoin de ma noble tendresse,

��1. C'était à Bourges que Cujas avait été professeur, et la réputation du profes- seur avait rendu célèbre la ville do Bourges. (B.)

2. Homme très-savant dans l'histoire des Chinois, et même dans leur langue. {Note de Voltaire, 1748.)

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