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412 CINQUIEME DISCOURS. [se]

Voilà votre portrait, stoïques abusés ^

Vous voulez changer l'homme, et vous le détruisez.

Usez, n'abusez point; le sage ainsi l'ordonne.

,Te fuis également Épictète et Pétrone.

L'abstinence ou l'excès ne fit jamais d'heureux. Je ne conclus donc pas, orateur dangereux,

Qu'il faut lâcher la bride aux passions humaines : --^De ce coursier fougueux je veux tenir les rênes ; —-—Je veux que ce torrent, par un heureux secours,

Sans inonder mes champs, les abreuve en son cours :

Vents, épurez les airs, et soufflez sans tempêtes ;

Soleil, sans nous brûler, marche et luis sur nos têtes.

Dieu des êtres pensants. Dieu des cœurs fortunés,

Conservez les désirs que vous m'avez donnés,

Ce goût de l'amitié, cette ardeur pour l'étude,

Cet amour des ])eaux-arts et de la solitude :

Voilà mes passions; mon âme en tous les temps

Goûta de leurs attraits les plaisirs consolants.

Quand sur les bords du JMein deux écumeurs barbares-,

Des lois des nations violateurs avares.

Deux fripons à brevet, brigands accrédités.

Épuisaient contre moi leurs lâches cruautés.

Le travail occupait ma fermeté tranquille ;

Des arts qu'ils ignoraient leur antre fut l'asile, -p— Ainsi le dieu des bois enflait ses chalumeaux l ^uand le voleur Cacus enlevait ses troupeaux :

Il n'interrompit point sa douce mélodie.

Heureux qui jusqu'au temps du terme de sa vie,

Des beaux-arts amoureux, peut cultiver leurs fruits !

Il brave l'injustice, il calme ses ennuis;

Il pardonne aux humains, il rit de leur délire. Et de sa main mourante il touche encor sa lyre.

1. M. de Voltaire combat ici, comme dans le discours septième, la morale fausse et outrée des jansénistes, qui était encore à la mode, et en général la morale chré- tienne. Il est un des premiers, parmi nos philosophes, qui ait fait voir qu'il vaut mieux diriger nos passions naturelles vers un bututile que de chercher à les détruire; qu'un homme qui passerait sa vie à combattre en lui la nature serait fort inutile à ses semblables. Ce sont les mûmes principes exagérés depuis dans le livre De l'Es- prit, qui ont excité, avec si peu de raison, tant de scandale et d'enthousiasme. (K.)

2. Freytag et Smith. Lorsqu'on 1750 Voltaire fit imprimer la fin de ce discours tel qu'il est, il y avait trois ans que le roi de Prusse et lui ne s'étaient écrit. (B.)

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