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SUR LA NATURE DU PLAISIR. 411

Tout dangereux qu'il est, c'est un pivsent céleste ;

L'usage eu est heureux, si l'abus est funeste.

J'admire et ne plains point un cœur maître de soi,

Qui, tenant ses désirs enchaînés sous sa loi.

S'arrache au genre humain pour Dieu qui nous fit naître ;

Se plaît à l'éviter plutôt qu'à le connaître ;

Et, brûlant pour son Dieu d'un amour dévorant,

Fuit les plaisirs permis pour un plaisir plus grand.

Mais que, fier de ses croix, vain de ses abstinences,

Et surtout on secret lassé de ses souffrances,

11 condamne dans nous tout ce qu'il a quitté,

L'hymen, le nom de père, et la société :

On voit de cet orgueil la vanité profonde;

C'est moins l'ami de Dieu que l'ennemi du monde ;

On lit dans ses chagrins les regrets des plaisirs.

Le ciel nous fit un cœur, il lui faut des désirs.

Des stoïques nouveaux le ridicule maître^ Prétend niôter à moi, me priver de mon être : Dieu, si nous l'en croyons, serait servi par nous Ainsi qu'en son sérail un musulman jaloux. Qui n'admet près de lui que ces monstres d'Asie Que le fer a privés des sources de la vie'.

Vous qui vous élevez contre l'humanité, N'avez-vous lu jamais la docte antiquité! Ne connaissez-vous point les filles de PéUe? Dans leur aveuglement voyez votre folie. Elles croyaient dompter la nature et le temps. Et rendre leur vieux père à la fleur de ses ans : Leurs mains par piété dans son sein se plongèrent ; Croyant le rajeunir, ses filles regorgèrent.

��gens de bien ont tous également de ces désirs vifs et continus appelés passions^ qui ne deviennent des vices que par leur objet; le désir de réussir dans son art, l'amour conjugal, l'amour paternel, le goût des sciences, sont des passions qui n'ont rien de criminel. Il serait à souhaiter que les langues eussent des mots pour exprimer les désirs habituels qui en soi sont indifférents, ceux qui sont ver- tueux, ceux qui sont coupables : mais il n'y a aucune langue au monde qui ait des signes représentatifs de chacune de nos idées; et on est obligé de se servir du même mot dans une acception différente, à peu près comme on se sert quel- quefois du même instrument pour des ouvrages de différente nature. {Note de Vol- taire, 17i2.)

1. Jansénius.

2. Cela ne regarde pas les esprits outrés, qui veulent ôter à l'homme tous les sentiments. {JS'ote de Voltaire, 1742.)

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