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TROISIÈME DISCOURS.

C’est ainsi qu’un grand cœur sait penser d’un grand homme.
    À la voix de Colbert Bernini vint de Rome ;
De Perrault[1], dans le Louvre, il admira la main :
« Ah ! dit-il, si Paris renferme dans son sein
Des travaux si parfaits, un si rare génie,
Fallait-il m’appeler du fond de l’Italie ? »
Voilà le vrai mérite ; il parle avec candeur :
L’envie est à ses pieds, la paix est dans son cœur.
    Qu’il est grand, qu’il est doux de se dire à soi-même :
Je n’ai point d’ennemis, j’ai des rivaux que j’aime ;
Je prends part à leur gloire, à leurs maux, à leurs biens ;
Les arts nous ont unis, leurs beaux jours sont les miens !
C’est ainsi que la terre avec plaisir rassemble
Ces chênes, ces sapins, qui s’élèvent ensemble :
Un suc toujours égal est préparé pour eux ;
Leur pied touche aux enfers, leur cime est dans les cieux[2] ;
Leur tronc inébranlable, et leur pompeuse tête.
Résiste, en se touchant, aux coups de la tempête ;
Ils vivent l’un par l’autre, ils triomphent du temps :
Tandis que sous leur ombre on voit de vils serpents
Se livrer, en sifflant, des guerres intestines,
Et de leur sang impur arroser leurs racines[3].

  1. La belle façade du vieux Louvre est de M.  Perrault. (Note de Voltaire, 1748.) — Dans les premières éditions on lit :

    Il vit l’heureux dessein.


    On écrivait alors dessein pour dessin. Ce dernier mot n’est en usage que depuis 1750. Au reste, ce ne fut qu’après le départ de Bernin que les dessins de la façade par Perrault furent présentés à Louis XIV ; voyez les Mémoires de Ch. Perrault, 1759, in-12, page 111. Voyez aussi le Siècle de Louis XIV, chap. xxix. (B.)
  2. La Fontaine a dit, livre Ier, fable xxii :


    Celui de qui la tête au ciel était voisine,

    Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.

  3. « Votre épître sur l’Envie est inimitable, écrivait Frédéric à Voltaire. Je la préfère presque encore aux deux autres. Vous parlez de l’envie comme un homme qui a senti le mal qu’elle peut faire, et des sentiments généreux comme de votre patrimoine. Je vous reconnais toujours aux grands sentiments. Vous les sentez si bien, qu’il vous est facile de les exprimer. »