Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
390
DEUXIÈME DISCOURS.

Le destin nous entraîne à nos affreux penchants,
Et ce chaos du monde est fait pour les méchants.
L’oppresseur insolent, l’usurpateur avare,
Cartouche, Miriwits[1], ou tel autre barbare,
Plus coupable enfin qu’eux, le calomniateur
Dira : « Je n’ai rien fait. Dieu seul en est l’auteur ;
Ce n’est pas moi, c’est lui qui manque à ma parole,
Qui frappe par mes mains, pille, brûle, viole. »
C’est ainsi que le Dieu de justice et de paix
Serait l’auteur du trouble et le dieu des forfaits.
Les tristes partisans de ce dogme effroyable
Diraient-ils rien de plus s’ils adoraient le diable ? »
    J’étais à ce discours tel qu’un homme enivré
Qui s’éveille en sursaut, d’un grand jour éclairé.
Et dont la clignotante et débile paupière
Lui laisse encore à peine entrevoir la lumière.
J’osai répondre enfin d’une timide voix :
« Interprète sacré des éternelles lois,
Pourquoi, si l’homme est libre, a-t-il tant de faiblesse ?
Que lui sert le flambeau de sa vaine sagesse ?
Il le suit, il s’égare ; et, toujours combattu,
Il embrasse le crime en aimant la vertu.
Pourquoi ce roi du monde, et si libre, et si sage,
Subit-il si souvent un si dur esclavage ? »
    L’esprit consolateur à ces mots répondit :
« Quelle douleur injuste accable ton esprit ?
La liberté, dis-tu, t’est quelquefois ravie :
Dieu te la devait-il immuable, infinie,
Égale en tout état, en tout temps, en tout lieu ?
Tes destins sont d’un homme, et tes vœux sont d’un Dieu[2].
Quoi ! Dans cet océan cet atome qui nage
Dira : « L’immensité doit être mon partage. »
Non ; tout est faible en toi, changeant et limité,

    grité, par le courage avec lequel il défendait la liberté des citoyens contre les prétentions de la cour de Rome et du clergé. Comme le jansénisme était alors le prétexte de ses entreprises, les Parisiens le prirent pour un janséniste : mais sa véritable religion était l’amour des lois et la haine de la tyrannie sacerdotale ; il n’en eut jamais d’autre. (K.)

  1. Assassin du prince de Candahar, au commencement du xviiie siècle. Voyez le chapitre xvi de la deuxième partie de l’Histoire de Russie.
  2. Traduction de ce vers d’Ovide (Métam., II, 56) :
    Sors tua mortalis, non est mortale quod optas.