Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome9.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

DISCOURS EN VERS

SUR L’HOMME


PREMIER DISCOURS


DE L’ÉGALITÉ DES CONDITIONS.

    Tu vois, sage Ariston, d’un œil d’indifférence
La grandeur tyrannique et la fière opulence ;
Tes yeux d’un faux éclat ne sont point abusés.
Ce monde est un grand bal où des fous, déguisés
Sous les risibles noms d’Éminence et d’Altesse,
Pensent enfler leur être et hausser leur bassesse.
En vain des vanités l’appareil nous surprend :
Les mortels sont égaux[1] ; leur masque est différent.
Nos cinq sens imparfaits, donnés par la nature,
De nos biens, de nos maux sont la seule mesure.
Les rois en ont-ils six ? et leur âme et leur corps
Sont-ils d’une autre espèce, ont-ils d’autres ressorts ?
C’est du même limon que tous ont pris naissance ;
Dans la même faiblesse ils traînent leur enfance ?
Et le riche et le pauvre, et le faible et le fort,
Vont tous également des douleurs à la mort.

    « Eh quoi ! me dira-t-on, quelle erreur est la vôtre !
N’est-il aucun état plus fortuné qu’un autre ?

  1. Voltaire a dit dans Mahomet, acte Ier, scène iv :

    Les mortels sont égaux ; ce n’est pas la naissance,

    C’est la seule vertu qui fait la différence.


    On lit dans l’Épître au peuple, par Thomas :

    Les mortels sont égaux ; la vertu fait le rang,

    Et l’homme le plus juste est toujours le plus grand. (B.)