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Nos doux amants, pleins de trouble et de joie,
Ivres d’amour, à leurs désirs en proie,
Se renvoyaient des regards enchanteurs,
De leurs plaisirs brillants avant-coureurs.
Les doux propos, libres sans indécence,
Aiguillonnaient leur vive impatience.
Le prince en feu des yeux la dévorait ;
Contes d’amour d’un air tendre il faisait,
Et du genou le genou lui serrait.
EtLe souper fait, on eut une musique
Italienne, en genre chromatique[1] ;
On y mêla trois différentes voix
Aux violons, aux flûtes, aux hautbois.
Elles chantaient l’allégorique histoire
De ces héros qu’Amour avait domptés,
Et qui, pour plaire à de tendres beautés,
Avaient quitté les fureurs de la gloire.
Dans un réduit cette musique était,
Près de la chambre où le bon roi soupait.
La belle Agnès, discrète et retenue,
Entendait tout, et d’aucuns n’était vue.
EnDéjà la lune est au haut de son cours ;
Voilà minuit : c’est l’heure des amours.
Dans une alcôve artistement dorée,
Point trop obscure, et point trop éclairée,
Entre deux draps que la Frise a tissus,
D’Agnès Sorel les charmes sont reçus.
Près de l’alcôve une porte est ouverte,
Que dame Alix, suivante très-experte,
En s’en allant oublia de fermer.
Ô vous, amants, vous qui savez aimer,
Vous voyez bien l’extrême impatience
Dont pétillait notre bon roi de France !
Sur ses cheveux, en tresse retenus,
Parfums exquis sont déjà répandus.
Il vient, il entre au lit de sa maîtresse ;
Moment divin de joie et de tendresse !
Le cœur leur bat ; l’amour et la pudeur
Au front d’Agnès font monter la rougeur.

  1. Le chromatique procède par plusieurs semi-tons consécutifs, ce qui produit une musique efféminée, très-convenable à l’amour. (Note de Voltaire, 1762.)