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Divine Agnès, proposez cette affaire
Au grand roi Charle. — Ah ! mon révérend père,
Lui dit Agnès, pensez-vous que le roi
Puisse toujours être amoureux de moi ?
— Je n’en sais rien : je pense qu’il se damne,
Répond Lourdis ; ma robe le condamne,
Mon cœur l’absout. Ah ! qu’ils sont fortunés
Ceux qui pour vous seront un jour damnés ! "
Agnès reprit : " Moine, votre réponse
Est bien flatteuse, et de l’esprit annonce. "
Puis dans un coin le tirant à l’écart,
Elle lui dit : " Auriez-vous par hasard
Chez les Anglais vu le jeune Monrose ? "
Le moine noir l’entendit finement :
" Oui, je l’ai vu, dit-il, il est charmant. "
Agnès rougit, baisse les yeux, compose
Son beau visage ; et prenant par la main
L’adroit Lourdis, le mène avant nuit close
Au cabinet de son cher suzerain.



Lourdis y fit un discours plus qu’humain.
Le roi Charlot, qui ne le comprit guère,
Fit assembler son conseil souverain,
Ses aumôniers et son conseil de guerre.
Jeanne, au milieu des héros ses pareils,
Comme au combat assistait aux conseils.
La belle Agnès, d’une façon gentille,
Discrètement travaillant à l’aiguille,
De temps en temps donnait de bons avis,
Qui du roi Charle étaient toujours suivis.



On proposa de prendre avec adresse
Sous les remparts Talbot et sa maîtresse :
Tels dans les cieux le Soleil et Vulcain
Surprirent Mars avec son Aphrodise[1].
On prépara cette grande entreprise,
Qui demandait et la tête et la main.
Dunois d’abord prit le plus long chemin,
Fit une marche et pénible et savante,

  1. Aphrodise est le nom grec de Vénus : cela ne veut dire qu'écume. Mais que les noms grecs sont sonores! que cette écume est une belle allégorie! Voyez Hésiode. Vous ne douterez pas que les anciennes fables ne soient souvent l’emmblème de la vérité. (Note de Voltaire, 1762.)