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Coiffant, frisant, portant des billets doux,
Savante en l’art de conduire une affaire,
Et ménageant souvent deux rendez-vous,
L’un pour sa dame, et puis l’autre pour elle.
Satan, caché sous l’air de la donzelle,
Tint ce discours à notre grosse belle :



" Vous connaissez mes talents et mon cœur
Je veux servir votre innocente ardeur ;
Votre intérêt d’assez près me concerne.
Mon grand cousin est de garde ce soir,
En sentinelle à certaine poterne ;
Là, sans risquer que votre honneur soit terne,
Le beau Talbot peut en secret vous voir.
Écrivez-lui ; mon grand cousin est sage,
Il vous fera très-bien votre message. "
La présidente écrit un beau billet,
Tendre, emporté : chaque mot porte à l’âme
La volupté, les désirs, et la flamme :
On voyait bien que le diable dictait.
Le grand Talbot, habile ainsi que tendre,
Au rendez-vous fit serment de se rendre :
Mais il jura que, dans ce doux conflit,
Par les plaisirs il irait à la gloire ;
Et tout fut prêt afin qu’au saut du lit
Il ne fît plus qu’un saut à la victoire.



Il vous souvient que le frère Lourdis
Fut envoyé, par le grand saint Denys,
Chez les Anglais pour lui rendre service.
Il était libre et chantait son office,
Disait sa messe, et même confessait.
Le preux Talbot sur sa foi le laissait,
Ne jugeant pas qu’un rustre, un imbécile,
Un moine épais, excrément de couvent,
Qu’il avait fait fesser publiquement,
Pût traverser un général habile.
Le juste ciel en jugeait autrement.
Dans ses décrets il se complaît souvent
A se moquer des plus grands personnages.
Il prend les sots pour confondre les sages.
Un trait d’esprit, venant du paradis,
Illumina le crâne de Lourdis.
De son cerveau la matière épaissie