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CHANT XXI





Argument.- Pudeur de Jeanne démontrée. Malice du diable. Rendez-vous donné par la présidente Louvet au grand Talbot. Services rendus par frère Lourdis. Belle conduite de la discrète Agnès. Repentir de l’âne. Exploits de la Pucelle. Triomphe du grand roi Charles VII






Mon cher lecteur sait par expérience
Que ce beau dieu qu’on nous peint dans l’enfance,
Et dont les jeux ne sont pas jeux d’enfants,
A deux carquois tout à fait différents :
L’un a des traits dont la douce piqûre
Se fait sentir sans danger, sans douleur,
Croît par le temps, pénètre au fond du cœur,
Et vous y laisse une vive blessure.
Les autres traits sont un feu dévorant
Dont le coup part et brûle au même instant[1].
Dans les cinq sens ils portent le ravage,
Un rouge vif allume le visage,
D’un nouvel être on se croit animé,
D’un nouveau sang le corps est enflammé,
On n’entend rien ; le regard étincelle.
L’eau sur le feu bouillonnant à grand bruit,
Qui sur ses bords s’élève, échappe, et fuit,

  1. Cette idée des deux carquois de l’Amour, inspirée peut-être par un passage d’Ovide (Métam., lib. I, v. 468-474) a été exprimée aussi heureusement dans Nanine, acte I, scène i. (Voyez tome IV du Théâtre, p. 15.)

    Les vers d’Ovide, dans lesquels il n’est point question des deux carquois de l’Amour, mais seulement de la différence dos traits dont il se sert, ont été ainsi imités par Voltaire. (Dictionnaire philosophique, article Figure) :
    Fatal Amour, tes traits sont différents ;
    Les uns sont d’or, ils sont doux et perçants,
    Ils font qu’on aime; et d’autres au contraire
    Sont d’un vil plomb qui rend froid et sévère.... (R.)