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sortant du cabaret pour aller en bonne fortune, aurait désavoués[1].

Voici donc Jeanne dans toute sa pureté. Nous craignons de faire un jugement téméraire en nommant l’auteur à qui on attribue ce poëme épique. Il suffit que les lecteurs puissent tirer quelque instruction de la morale cachée sous les allégories du poëme. Qu’importe de connaître l’auteur ? Il y a beaucoup d’ouvrages que les doctes et les sages lisent avec délices sans savoir qui les a faits, comme le Pervigilium Veneris, la satire sous le nom de Pétrone[2], et tant d’autres.

Ce qui nous console beaucoup, c’est qu’on trouvera dans notre Pucelle bien moins de choses hardies et libres que dans tous les grands hommes d’Italie qui ont écrit dans ce goût.

Verum enim vero, à commencer par le Pulci, nous serions bien fâchés que nôtre discret auteur eût approché des petites libertés que prend ce docteur florentin dans son Morgante. Ce Luigi Pulci, qui était un grave chanoine[3], composa son poëme, au milieu du xve siècle, pour la signora Lucrezia Tornabuoni, mère de Laurent

  1. Dans les dernières éditions que des barbares ont faites de ce poëme, le lecteur est indigné de voir une multitude de vers tels que ceux-ci :

    Chandos, suant et soufflant comme un bœuf,
    Tâte du doigt si l’autre est une fille.
    « Au diable soit, dit-il, la sotte aiguille ! »
    Bientôt le diable emporte l’étui neuf.
    Il veut encor secouer sa guenille.
    ..............
    Chacun avait son trot et son allure.


    On y dit de saint Louis :

    Qu’il eût mieux fait, certes, le pauvre sire,
    De se gaudir avec sa margoton…
    Onc ne tâta de bisques, d’ortolans, etc.

    On y trouve Calvin du temps de Charles VII ; tout est défiguré, tout est gâté par des absurdités sans nombre. (Note de Voltaire, 1762.) C’est un capucin défroqué, lequel a pris le nom de Maubert, qui est l’auteur de cette infamie, faite uniquement pour la canaille. (Id., 1773). — Pour les vers de Chandos cités dans cette note, voyez les variantes du XIIe chant ; pour les autres, les variantes du Ve. (R.)

  2. Dans le chapitre xiv du Pyrrhonisme de l’histoire, consacré à l’examen du poëme attribué au consul Pétrone, Voltaire s’est, avec raison, montré beaucoup plus sévère en fait de goût qu’il ne l’est ici. (R.)
  3. Ginguené (Histoire littéraire d’Italie, IV, 214) adopte cette opinion, que Voltaire lui-même a énoncée de nouveau (en 1767) dans la seconde de ses Lettres à S. A. monseigneur le prince de*** sur Rabelais, etc. Les biographes nationaux prétendent, au contraire, que le Pulci était marié : « Si sa certamente ch’ egli viaggio per la Lombardia, e altrove, e che s’accaso verso l’anno 1473, con Lucrezia di Uberto di Giovanni degli Albizzi, da cui ebbe due figliuoli, Roberto e Jacopo. » Elogio di Luigi Pulci, scritlo dal sig. Giuseppe Pelli, Morgante Maggiore, Milano, 1800, in-8, I, vii. (R.)