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Il jure en vain que ce saint pucelage
Est des Troyens le grand palladium,
Le bouclier sacré du Latium[1] ;
De la victoire il est, dit-il, le gage ;
C’est l’oriflamme ; il faut vous en saisir.
— Oui, dit Chandos, et j’aurai pour partage
Les plus grands biens, la gloire et le plaisir. "



Jeanne pâmée écoutait ce langage
Avec horreur, et faisait mille vœux
A saint Denys, ne pouvant faire mieux.
Le grand Dunois, d’un courage héroïque,
Veut empêcher le triomphe impudique :
Mais comment faire ? Il faut dans tout état
Qu’on se soumette à la loi du combat.
Les fers en l’air et la tête penchée,
L’oreille basse et du choc écorchée,
Languissamment le céleste baudet
D’un œil confus Jean Chandos regardait.
Il nourrissait dès longtemps dans son âme
Pour la Pucelle une discrète flamme,
Des sentiments nobles et délicats
Très-peu connus des ânes d’ici-bas.



Le confesseur du bon monarque Charle
Tremble en sa chair alors que Chandos parle.
Il craint surtout que son cher pénitent,
Pour soutenir la gloire de la France,
Qu’on avilit avec tant d’impudence,
A son Agnès n’en veuille faire autant ;
Et que la chose encor soit imitée
Par La Trimouille et par sa Dorothée.
Au pied d’un chêne il entre en oraison,
Et fait tout bas sa méditation
Sur les effets, la cause, la nature
Du doux péché qu’aucuns nomment luxure[2].



En méditant avec attention,
Le benoît moine eut une vision
Assez semblable au prophétique songe
De ce Jacob, heureux par un mensonge,

  1. C'était un bouclier qui était tombé du ciel à Rome, et qui était gardé soigneusement, comme un gage de la sûreté de la ville. (Note de Voltaire, 1762.)
  2. En 1750, c'était ici la fin du douzième chant; ce qui suit formait le treizième. (G.-A.)