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L’autre plus douce, aux yeux bleus, au teint frais,
Couchaient alors dans la gentilhommière.
Charle étonné les soupçonne à ces traits ;
Il se fait dire et puis redire encore
Quels sont les yeux, la bouche, les cheveux,
Le doux parler, le maintien vertueux
Du cher objet de son cœur amoureux :
C’est elle enfin, c’est tout ce qu’il adore ;
Il en est sûr, il quitte son repas.
" Adieu Bonneau : je cours entre ses bras. "
Il dit et vole, et non pas sans fracas :
Il était roi, cherchant peu le mystère.



Plein de sa joie, il répète et redit
Le nom d’Agnès, tant qu’Agnès l’entendit.
Le couple heureux en trembla dans son lit.
Que d’embarras ! comment sortir d’affaire ?
Voici comment le beau page s’y prit :
Près du lambris, dans une grande armoire,
On avait mis un petit oratoire,
Autel de poche, où, lorsque l’on voulait,
Pour quinze sous un capucin[1] venait.
Sur le retable, en voûte pratiquée,
Est une niche en attendant son saint.
D’un rideau vert la niche était masquée.
Que fait Monrose ? un beau penser lui vint
De s’ajuster dans la nichée sacrée ;
En bienheureux, derrière le rideau,
Il se tapit, sans pourpoint, sans manteau.
Charles volait, et presque dès l’entrée
Il saute au cou de sa belle adorée ;
Et, tout en pleurs, il veut jouir des droits
Qu’ont les amants, surtout quand ils sont rois.
Le saint caché frémit à cette vue ;
Il fait du bruit, et la toile remue :
Le roi approche, il y porte la main,
Il sent un corps, il recule, il s’écrie :
" Amour, Satan, saint François, saint Germain !
Moitié frayeur et moitié jalousie ;

  1. Il n'y avait point encore de pères capucins; c'est une faute contre le costume. (Note de Voltaire, 1762.)