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Mais laissez-moi ce que mon cœur adore.
Amour, Agnès, monarque malheureux !
Que fais-je ici, m’arrachant les cheveux ?
Je l’ai perdue, il faudra que j’en meure ;
Je l’ai perdue, et pendant que je pleure,
Peut-être, hélas ! quelque insolent Anglais
A son plaisir subjugue ses attraits,
Nés seulement pour des baisers français.
Une autre bouche à tes lèvres charmantes
Pourrait ravir ces faveurs si touchantes !
Une autre main caresser tes beautés !
Un autre…. ô ciel ! que de calamités !
Et qui sait même, en ce moment terrible,
A leurs plaisirs si tu n’es pas sensible ?
Qui sait, hélas ! si ton tempérament
Ne trahit pas ton malheureux amant ? "
Le triste roi, de cette incertitude
Ne pouvant plus souffrir l’inquiétude,
Va sur ce cas consulter les docteurs,
Nécromanciens, devins, sorboniqueurs,
Juifs, jacobins, quiconque savait lire[1].
" Messieurs, dit-il, il convient de me dire
Si mon Agnès est fidèle à sa foi,
Si pour moi seul sa belle âme soupire :
Gardez-vous bien de tromper votre roi ;
Dites-moi tout ; de tout il faut m’instruire. "
Eux bien payés consultèrent soudain
En grec, hébreu, syriaque, latin :
L’un du roi Charle examine la main,
L’autre en carré dessine une figure ;
Un autre observe et Vénus, et Mercure ;
Un autre va, son psautier parcourant,
Disant _amen_, et tout bas murmurant ;
Cet autre-ci regarde au fond d’un verre,
Et celui-là fait des cercles à terre :
Car c’est ainsi que dans l’antiquité
On a toujours cherché la vérité.

  1. Ces sortes de divinations étaient fort usitées; nous voyons même que le roi Philippe III envoya un évêque et un abbé à une béguine de Nivelle auprès de Bruxelles, grande devineresse, pour savoir si Marie de Brabant, sa femme, lui était fidèle. (Note de Voltaire, 1762.)