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Les toits pourris de ce repaire affreux ;
Des malandrins la grossière cohue
Cuvait son vin, dans la grange étendue ;
Et Dorothée, en ces moments d’horreur,
Demeurait seule, et se mourait de peur.



Le boucanier, dans la grosse partie
Par où l’on pense, était tout offusqué
De la vapeur des raisins d’Italie.
Moins à l’amour qu’au sommeil provoqué,
Il va pressant d’une main engourdie
Les fiers appas dont son cœur est piqué ;
Et la Judith, prodiguant ses tendresses,
L’enveloppait, par de fausses caresses,
Dans les filets que lui tendait la mort.
Le dissolu, lassé d’un tel effort,
Bâille un moment, tourne la tête, et dort.



A son chevet pendait le cimeterre
Qui fit longtemps redouter Martinguerre.
Notre Bretonne aussitôt le tira,
En invoquant Judith et Débora[1],
Jahel, Aod, et Simon nommé Pierre,
Simon Barjone aux oreilles fatal,
Qu’à surpasser l’héroïne s’apprête.
Puis empoignant les crins de l’animal
De sa main gauche, et soulevant la tête,
La tête lourde, et le front engourdi
Du mécréant qui ronfle appesanti,
Elle s’ajuste, et sa droite élevée
Tranche le cou du brave débauché.
De sang, de vin la couche est abreuvée ;

  1. Il n'est lecteur qui ne connaisse la belle Judith. Débora, brave épouse de Lapidoth, défit le roi Jabin, qui avait neuf cents chariots armés de faux, dans un pays de montagnes où il n'y a aujourd'hui que des ânes. La brave femme Jahel, épouse de Haber, reçut chez elle Sisara, maréchal général de Jabin : elle l'enivra avec du lait, et cloua sa tète à terre d'une tempe à l'autre avec un clou; c'était un maître clou, et elle une maîtresse femme. Aod le gaucher alla trouver le roi Églon de la part du Seigneur, et lui enfonça un grand couteau dans le ventre avec la main gauche, et aussitôt Églon alla à la selle. Quant à Simon Barjone, il ne coupa qu'une oreille à Malchus, et encore eut-il ordre de remettre l'épée au fourreau; ce qui prouve que l'Église ne doit point verser le sang. (Note de Voltaire, 1762). — Je ne sais si Voltaire s'est montré traducteur exact, mais il est au moins historien fidèle dans son récit de la mort d'Églon : « Statimque per sécréta alvi stercora proruperunt. » Judic, iii, 22. (R.)