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Dans la tristesse elle est ensevelie.
Judith l’Anglaise, un moment recueillie,
Et regardant le corsaire inhumain,
D’un air de tête et d’un souris hautain :
" Je veux, dit-elle, avoir ici la joie
Sur le minuit de me voir votre proie ;
Et l’on saura ce qu’avec un bandit
Peut une Anglaise alors qu’elle est au lit. "
A ce propos le brave Martinguerre
D’un gros baiser la barbouille, et lui dit :
" J’aimai toujours les filles d’Angleterre.
Il la rebaise, et puis vide un grand verre,
En vide un autre, et mange, et boit, et rit,
Et chante, et jure ; et sa main effrontée
Sans nul égard se porte impudemment
Sur Rosamore, et puis sur Dorothée.
Celle-ci pleure ; et l’autre fièrement,
Sans s’émouvoir, sans changer de visage,
Laisse tout faire au rude personnage.
Enfin de table il sort en bégayant,
Le pied mal sûr, mais l’œil étincelant,
Avertissant, d’un geste de corsaire,
Qu’on soit fidèle aux marchés convenus ;
Et, rayonnant des présents de Bacchus,
Il se prépare aux combats de Cythère.



La Milanaise, avec des yeux confus,
Dit à l’Anglaise : " Oserez-vous, ma chère,
Du scélérat consommer le désir ?
Mérite-t-il qu’une beauté si fière
S’abaisse au point de donner du plaisir ?
— Je prétends bien lui donner autre chose,
Dit Rosamore ; on verra ce que j’ose :
Je sais venger ma gloire et mes appas ;
Je suis fidèle au chevalier que j’aime.
Sachez que Dieu, par sa bonté suprême,
M’a fait présent de deux robustes bras,
Et que Judith est mon nom de baptême.
Daignez m’attendre en cet indigne lieu,
Laissez-moi faire, et surtout priez Dieu. "
Puis elle part, et va la tête haute
Se mettre au lit à côté de son hôte.



La nuit couvrait d’un voile ténébreux