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Le Poitevin prend le chemin d’Ancône[1]
Avec sa dame, un bourdon dans la main,
Portant tous deux chapeau de pèlerin,
Bien relevé de coquilles bénies.
A leur ceinture un rosaire pendait
De beaux grains d’or et de perles unies.
Le paladin souvent le récitait,
Disait _Ave_ : la belle répondait
Par des soupirs et par des litanies ;
Et _je tous aime_ était le doux refrain
Des _oremus_ qu’ils chantaient en chemin.
Ils vont à Parme, à Plaisance, à Modène,
Dans Urbino, dans la tour de Césène,
Toujours logés dans de très-beaux châteaux
De princes, ducs, comtes, et cardinaux.
Le paladin eut partout l’avantage
De soutenir que dans le monde entier
Il n’est beauté plus aimable et plus sage
Que Dorothée ; et nul n’osa nier
Ce qu’avançait un si grand personnage :
Tant les seigneurs de tout ce beau canton
Avaient d’égards et de discrétion.



Enfin portés sur les boids du Musône,
Près Ricanate en la Marche d’Ancône,
Les pèlerins virent briller de loin
Cette maison de la sainte Madone,
Ces murs divins de qui le ciel prend soin ;
Murs convoités des avides corsaires,
Et qu’autrefois des anges tutélaires
Firent voler dans les plaines des airs,
Comme un vaisseau qui fend le sein des mers.
A Loretto les anges s’arrêtèrent [2];

  1. C'est dans la Marche d'Ancône qu'est la maison de la Vierge apportée de Nazareth par les anges; ils la mirent d"abord en dépôt en Dalmatie pendant trois ans et sept mois, et ensuite la posèrent près de Recanati. Sa statue est de quatre pieds de haut, son visage noir; elle porte la même tiare que le pape : on connaît ses miracles et ses trésors. (Note de Voltaire, 1774.)
  2. Ils ne s'arrêtèrent pas d'abord à Loretto ; c'est une inadvertance de notre auteur : « Non ego paucis offendar maculis. » (Id., 1762.) Cependant on peut dire, pour sa défense, que les anges s'arrêtèrent enfin à Lorette, eux et la maison, après avoir essayé de plusieurs autres pays qui ne plurent point à la sainte Vierge. Cette aventure se passa sous le pontificat de Boniface VIII, dont on dit qu'il usurpa sa place comme un renard, qu'il s'y comporta comme un loup, et qu'il