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Vous demandez, lecteur, pourquoi cela.
C’est que Denys lut dans l’âme troublée
De son bel âne et de son beau bâtard.
Tous deux brûlaient d’un feu qui tôt ou tard
Aurait pu nuire à la cause commune,
Perdre la France, et Jeanne, et sa Fortune.
Denys pensa que l’absence et le temps
Les guériraient de leurs amours naissants.
Denys encore avait en cette affaire
Un autre but, une bonne œuvre à faire.
Craignez, lecteur, de blâmer ses desseins ;
Et respectez tout ce que font les saints.



L’âne céleste, où Denys met sa gloire,
S’envola donc loin des rives de Loire,
Droit vers le Rhône, et Dunois stupéfait
A tire d’aile est porté comme un trait.
Il regardait de loin son héroïne,
Qui, toute nue, et le fer à la main,
Le cœur ému d’une fureur divine,
Rouge de sang se frayait un chemin.
Hermaphrodix veut l’arrêter en vain ;
Ses farfadets, son peuple aérien,
En cent façons volent sur son passage ;
Jeanne s’en moque, et passe avec courage.
Lorsqu’en un bois quelque jeune imprudent
Voit une ruche, et, s’approchant, admire
L’art étonnant de ce palais de cire ;
De toutes parts en essaim bourdonnant
Sur mon badaud s’en vient fondre avec rage,
Un peuple ailé lui couvre le visage :
L’homme piqué court à tort, à travers ;
De ses deux mains il frappe, il se démène,
Dissipe, tue, écrase par centaine
Cette canaille habitante des airs.
C’était ainsi que la Pucelle fière
Chassait au loin cette foule légère.



A ses genoux le chétif muletier,
Craignant pour soi le sort du cordelier,
Tremble et s’écrie : " O Pucelle ! ô ma mie !
Dans l’écurie autrefois tant servie !
Quelle furie ! épargne au moins ma vie ;
Que les honneurs ne changent point tes mœurs !