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Damnez-vous donc par des fautes aimables,



Agnès Sorel sut en user ainsi.
On ne lui peut reprocher en sa vie
Que les douceurs d’une tendre folie.
Je lui pardonne, et je pense qu’aussi
Dieu tout clément aura pris pitié d’elle :
En paradis tout saint n’est point pucelle ;
Le repentir est vertu du pécheur[1].



Quand Jeanne d’Arc défendait son honneur,
Et que du fil de sa céleste épée
De Grisbourdon la tête fut tranchée,
Notre âne ailé, qui dessus son harnois
Portait en l’air le chevalier Dunois,
Conçut alors le caprice profane
De l’éloigner, et de l’ôter à Jeanne.
Quelle raison en avait-il ? L’amour,
Le tendre amour, et la naissante envie
Dont en secret son âme était saisie.
L’ami lecteur apprendra quelque jour
Quel trait de flamme, et quel idée hardie[2]
Pressait déjà ce héros d’Arcadie.
L’animal saint eut donc la fantaisie
De s’envoler devers la Lombardie ;
Le bon Denys en secret conseilla
Cette escapade à sa monture ailée.

  1. Voici encore une pensée que Voltaire a reproduite en termes peu différents dans l’un de ses ouvrages dramatiques. On lit dans Olympie (acte II, scène ii) :
    Dieu fit du repentir la vertu des mortels.

    Chénier a exprimé, avec non moins de bonheur, la même idée dans son Calas acte V, scène vi) :
    … Un Dieu plein de clémence
    Pour qui le repentir est encor l'innocence. (R.)
  2. C'est par licence poétique, fort excusable dans un poëme du genre de la Pucelle, que Voltaire ne tient pas compte de l'h aspirée du mot hardie, non plus qu'il ne tiendra compte un peu, plus loin de l'h aspirée du mot harassé dans le vers 196 de ce chant :
    Son corps divin de fatigue harassé.

    Peut-être n'aurait-il pas dû se permettre les mêmes licences dans la Henriade,
    où se trouve (chant IX, vers 18) ce vers :
    Les biens du premier âge, hors la seule innocence.

    L'édition de 1761 fournit au vers ci-dessus cette variante irréprochable :
    Quel doux espoir! quelle flamme hardie!