Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/99

Cette page n’a pas encore été corrigée

Les époux expirant sous leurs toits embrasés,
Les enfants au berceau sur la pierre écrasés :
Des fureurs des humains c’est ce qu’on doit attendre.
Mais ce que l’avenir aura peine à comprendre,
Ce que vous-même encore à peine vous croirez,
Ces monstres furieux, de carnage altérés,
Excités par la voix des prêtres sanguinaires,
Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs frères ;
Et, le bras tout souillé du sang des innocents,
Osaient offrir à Dieu cet exécrable encens.
« Ô combien de héros indignement périrent !
Resnel[1] et Pardaillan chez les morts descendirent ;
Et vous, brave Guerchy[2], vous, sage Lavardin,
Digne de plus de vie et d’un autre destin[3].
Parmi les malheureux que cette nuit cruelle
Plongea dans les horreurs d’une nuit éternelle[4],
Marsillac et Soubise[5], au trépas condamnés,
Défendent quelque temps leurs jours infortunés.
Sanglants, percés de coups, et respirant à peine,
Jusqu’aux portes du Louvre on les pousse, on les traîne ;
Ils teignent de leur sang ce palais odieux,
En implorant leur roi, qui les trahit tous deux.

  1. Antoine de Clcrmont-Resnel, se sauvant en chomise, fut massacré par le fils du baron des Adrets, et par son propre cousin Bussy d'Amboise.



    Le marquis de Pardaillan fut tue à côté de lui. (Note de Voltaire, 1730.)
  2. Guerchy se défendit longtemps dans la rue, et tua quelques meurtriers avant d'être accablé par le nombre; mais le marquis de Lavardin n'eut pas le temps de tirer l'épée. (Id., 1730.)
  3. Dans une épître au duc de Bouillon, Chaulieu a dit :
    Dignes de plus de vie et de plus de fortune.
  4. Ces vers rappellent ceux de Racine (Andromaque, acte III, scène viii) :
    Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
    Qui fut pour tout un peuple une nuit éternelle.
  5. Marsillac, comte de La Rochefoucauld, était favori de Charles IX, et avait passé une partie de la nuit avec le roi. Ce prince avait eu quelque envie de le sauver, et lui avait même dit de coucher dans le Louvre; mais enfin il le laissa aller en disant : « Je vois bien que Dieu veut qu'il périsse. »



    Soubise portait ce nom, parce qu'il avait épousé l'héritière de la maison de Soubise. Il s'appelait Dupont-Quellenec. Il se défendit très-longtemps, et tomba percé de coups sous les fenêtres de la reine. Comme sa femme lui avait intenté un procès pour cause d'impuissance, les dames de la cour allèrent voir son corps nu et tout sanglant, par une curiosité barbare digne de cette cour abominable. (Note de Voltaire, 1730.)