Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome8.djvu/97

Cette page n’a pas encore été corrigée

Son corps, percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l’indigne pâture[1] ;

    — Mais il est sûr qu'on porta sa tête à la reine, avec un coffre plein de papiers, parmi lesquels était l'histoire du temps, écrite de la main de Coligny. (Id., 1730.) — On y trouva aussi plusieurs mémoires sur les affaires publiques. Un de ces mémoires avait pour objet d'engager Charles à faire la guerre aux Anglais. Charles IX fit lire ce mémoire à l'ambassadeur d'Angleterre, qui se plaignait à lui de la trahison faite aux protestants, et qui n'en méprisa que plus la politique de la cour de France. Un autre mémoire montrait les dangers auxquels il exposerait la tranquillité de l'État s'il donnait un apanage à son frère le duc d'Alençon : on le montra à ce jeune prince, qui regrettait l'amiral. « Je ne sais pas, répondit-il après l'avoir lu, si ce mémoire est d'un de mes amis, mais il est sûrement d'un sujet fidèle. » (K.) La populace traîna le corps de l'amiral par les rues, et le pendit par les pieds avec une chaîne de fer au gibet de Moutfaucon. (Id., 1723.) — Le roi eut la cruauté d'aller lui-même avec sa cour à Montfaucon jouir de cet horrible spectacle. Quelqu'un lui ayant dit que le corps de l'amiral sentait mauvais, il répondit, comme Vitellius : « Le corps d'un ennemi mort sent toujours bon. » (Id., 1723 et 1730.) Il alla au parlement accuser l'amiral d'une conspiration, et le parlement rendit un arrêt contre le mort, par lequel il ordonna que son corps, après avoir été traîné sur une claie, serait pendu en Grève, ses enfants déclarés roturiers et incapables de posséder aucune charge, sa maison de Châtillon-sur-Loing rasée, les arbres coupés, etc.; et que tous, les ans on ferait une procession, le jour de la Saint-Barthélémy, pour remercier Dieu de la découverte de la conspiration, à laquelle l'amiral n'avait pas songé. Malgré cet arrêt, la fille de l'amiral, veuve de Téligny, épousa peu de temps après le prince d'Orange. (Id., 1723, et K.) Le parlement avait mis quelques années auparavant sa tête à cinquante mille écus; il est assez singulier que ce soit précisément le même prix qu'il mit depuis à celle du cardinal Mazarin. Le génie des Français est de tourner en plaisanterie les événements les plus affreux : on débita un petit écrit intitulé Passio Domini nostri Gaspardi Coligni, secundum Bartholomœum. (Id., 1723.) Mézeray rapporte, dans sa grande histoire, un fait dont il est très-permis de douter. Il dit que, quelques années auparavant, le gardien du couvent des cordeliers de Saintes, nommé Michel Crellet, condamné par l'amiral à être pendu, lui prédit qu'il mourrait assassiné, qu'il serait jeté par les fenêtres, et ensuite pendu lui-même. De nos jours, un financier ayant acheté une terre qui avait appartenu aux Coligny, y trouva dans le parc, à quelques pieds sous terre, un coffre de fer rempli de papiers qu'il fit jeter au feu, comme ne produisant aucun revenu. (Id., 1723.) Le Publicisle du 27 messidor an XII (ler juillet 1804) contient un article intitulé Monument de l’amiral Gaspard de Coligny, où il est dit que des amis de l'amiral recueillirent ses restes, et les déposèrent dans les caves du château de Châtillon. Le duc de Luxembourg, propriétaire de ce château en 1780, céda les restes de Coligny à M. de Montesquieu, qui les fit transporter dans sa terre de Maupertuis, où il érigea un mausolée sur l'une des faces duquel on lisait, en caractères de trois pouces : Ici reposent et sont honorés enfin, après plus de deux siècles, les restes de Gaspard Coligny, amiral de France, tué à la Saint-Barthéleniy le xxiv août mdlxxii. (B.)

  1. Voltaire a dit dans OEdipe, acte I, scène iii :
    Et que son corps sanglant, privé de sépulture,
    Des vautours dévorants devienne la pâture.

    Ce qui est une réminiscence d'Homère, Iliade, chant Ier, vers 3-5.