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Les meurtriers surpris sont saisis de respect ;
Une force inconnue a suspendu leur rage.
« Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage,
« Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs,
« Que le sort des combats respecta quarante ans ;
« Frappez, ne craignez rien ; Coligny vous pardonne ;
« Ma vie est peu de chose, et je vous l’abandonne…
« J’eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous… »
Ces tigres à ces mots tombent à ses genoux :
L’un, saisi d’épouvante, abandonne ses armes ;
L’autre embrasse ses pieds, qu’il trempe de ses larmes
Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.
« Besme[1], qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu’on diffère son crime ;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups ;
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.
À cet objet touchant lui seul est inflexible ;
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
À travers les soldats il court d’un pas rapide :
Coligny l’attendait d’un visage intrépide ;
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée, en détournant les yeux,
De peur que d’un coup d’œil cet auguste visage
Ne fît trembler son bras, et glaçât son courage.
Du plus grand des Français tel fut le triste sort,
On l’insulte[2], on l’outrage encore après sa mort,

  1. Besme était un Allemand, domestique de la maison de Guise. Ce misérable étant depuis pris par les protestants, les Rochellois voulurent l'acheter pour le faire écarteler dans leur place publique. Ils proposèrent ensuite de l'échanger contre le brave Montbrun, chef des protestants du Dauphiné, à qui le parlement de Grenoble faisait alors le procès. Montbrun fut exécuté, et Besme tué par un nommé Bretanville. (Note de Voltaire, 1730.)



    — Cette note est conforme aux éditions de Kehl. Dans toutes les éditions du vivant de l'auteur, de 1730 à 1775, au lieu des deux dernières phrases, on lisait seulement : « mais il fut tué par un nommé Bretanville. »



    On a reproché à Voltaire d'avoir dit que Besme était Allemand, tandis qu'il était Bohémien. Mais ne peut-on pas comprendre la Bohême dans l'Allemagne? (B.)
  2. Il est impossible de savoir s'il est vrai que Catherine deMédicis ait envoyé la tête de l'amiral à Rome, comme l'assurent les protestants. (Note de Voltaire, 1723.)