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Son camp fut mon berceau ; là, parmi les guerriers,
Nourri dans la fatigue à l’ombre des lauriers,
De la cour avec lui dédaignant l’indolence,
Ses combats ont été les jeux de mon enfance.
« Ô plaines de Jarnac ! ô coup trop inhumain !
Barbare Montesquiou, moins guerrier qu’assassin,
Condé, déjà mourant, tomba sous ta furie !
J’ai vu porter le coup ; j’ai vu trancher sa vie :
Hélas ! trop jeune encor, mon bras, mon faible bras
Ne put ni prévenir ni venger son trépas.
Le ciel, qui de mes ans protégeait la faiblesse,
Toujours à des héros confia ma jeunesse.
Coligny[1], de Condé le digne successeur,
De moi, de mon parti devint le défenseur.
Je lui dois tout, madame, il faut que je l’avoue[2] ;
Et d’un peu de vertu si l’Europe me loue,
Si Rome a souvent même estimé mes exploits,
C’est à vous, ombre illustre, à vous que je le dois.
Je croissais sous ses yeux, et mon jeune courage
Fit longtemps de la guerre un dur apprentissage.

  1. Gaspard de Coligny, amiral de France, fils de Gaspard de Coligny, maréchal de France, et de Louise de Montmorency, sœur du connétable; né à Châtillon
    le 16 février 1516 (Note de Voltaire, 1730), après la mort du prince de Condé, fut déclaré chef du parti des reformes en France. Catherine de Médicis et Charles IX surent l'attirer à la cour pour le mariage de Henri IV et de Marguerite de Valois, sœur de Charles IX et de Henri III. Il fut massacré le jour de la Saint-Barthélémy : c'était principalement à ce grand homme qu'on en voulait. (Id., 1741.)



    Quelques personnes ont reproché à l’auteur de la Henriade d'avoir fait son héros, dans ce second chant, d'un huguenot révolté contre son roi, et accusé par la voix publique de l'assassinat de François de Guise. Cette critique louable est fondée sur l'obéissance au souverain, qui doit faire le principal caractère d'un héros français; mais il faut considérer que c'est ici Henri IV qui parle. Il avait fait ses premières campagnes sous l'amiral, qui lui avait tenu lieu de père; il avait été accoutumé à le respecter, et ne devait ni ne pouvait le soupçonner d'aucune action indigne d'un grand homme, surtout après la justification publique de Coligny, qui ne pouvait point paraître douteuse au roi de Navarre.



    A l'égard de la révolte, ce n'était pas à ce prince à regarder comme un crime dans l’amiral son union avec la maison de Bourbon contre des Lorrains et une Italienne. Quant à la religion, ils étaient tous deux protestants; et les huguenots, dont Henri IV était le chef, regardaient l'amiral comme un martyr. (Id., 1723.)



    — Dans l'édition de 1723, au lieu de Quelques personnes ont reproché à l'auteur, etc., on lit : Quelques personnes m'ont reproché, etc.; ce qui ne laisse aucun doute que Voltaire soit l'auteur de cet alinéa et du suivant. (B.)
  2. Boileau a dit, épître VII, vers 59 :
    Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue.