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M’adopta, me servit et de maître et de père[1] ;

    le jour de la bataille. Comme il marchait aux ennemis, le cheval du comte de La Rochefoucauld, son beau-frère, lui donna un coup de pied qui lui cassa la jambe. Ce prince, sans daigner se plaindre, s'adressa aux gentilshommes qui l'accompagnaient : « Apprenez, leur dit-il, que les chevaux fougueux nuisent plus qu'ils ne servent dans une armée. » Un instant après il leur dit, avec un bras en écharpe et une jambe cassée : « Le prince de Condé ne craint point de donner la bataille, puisque vous le suivez; » et chargea dans le moment. Brantôme dit qu'après que le prince se fut rendu prisonnier à Dargence, dans cette bataille, arriva un très-honnête et très-brave gentilhomme, nommé Montesquiou, qui, ayant demandé qui c'était, comme on lui dit que c'était M. le prince de Condé : « Tuez, tuez, mordieu ! » dit-il, et lui tira un coup de pistolet dans la tête. (Note de Voltaire, l723.) — Montesquiou était capitaine des gardes du duc d'Anjou, depuis Henri III. Le comte de Soissons, fils cadet du prince de Condé, chercha partout Montesquiou et ses parents, pour les sacrifier à sa vengeance. {Id., 1730.) Henri IV était à la journée de Jarnac, quoiqu'il n'eût pas quatorze ans, et remarqua les fautes qui firent perdre la bataille. (Id., 1730.) Le prince de Condé était bossu et petit, et cependant plein d'agréments, spirituel, galant, aimé des femmes. On fit sur lui ce vaudeville :

    Ce petit homme tant joli,
    Qui toujours cause et toujours rit,
    Et toujours baise sa mignonne :
    Dieu gard' de mal ce petit homme! (Id , 1723.)
    La maréchale de Saint-André se ruina pour lui, et lui donna, entre autres présents, la terre de Vallery, qui depuis est devenue la sépulture des princes de la maison de Condé. Jamais général ne fut plus aimé de ses soldats : on on vit à Pont-à-Mousson un exemple étonnant. Il manquait d'argent pour ses troupes, et surtout pour les reîtres, qui étaient venus à son secours, et qui menaçaient de l'abandonner : il osa proposer à son armée, qu'il ne payait point, de payer elle-même l'armée auxiliaire; et, ce qui ne pouvait jamais arriver que dans une guerre de religion et sous un général tel que lui, toute son armée se cotisa, jusqu'au moindre goujat. Il fut condamné, sous François II, à Orléans, à perdre la tête; mais on ignore si l'arrêt fut signé. La France fut étonnée de voir un pair, prince du sang, qui ne pouvait être jugé que par la cour des pairs, les chambres assemblées, obligé de répondre devant des commissaires ; mais ce qui parut le plus étrange fut que ces commissaires mêmes fussent tirés du corps du parlement. C'étaient Christophe de Thou, depuis premier président, et père de l'historien ; Barthélémy Faye, Jacques Viole, conseillers; Bourdin, procureur général, et du Tillet, greffier, qui tous, en acceptant cette commission, dérogeaient à leurs privilèges, et s'étaient par là la liberté de réclamer leurs droits, si jamais on leur eût voulu donner à eux-mêmes, dans l'occasion, d'autres juges que leurs juges naturels, (Id., 1723. ) — On prétend que Mme Renée de France, fille de Louis XII et duchesse de Ferrare, qui arriva en France dans ce même temps, ne contribua pas peu à empêcher l'exécution de l'arrêt. (Id., 1741.) Il ne faut pas omettre un artifice de cour dont on se servit pour perdre ce prince, qui se nommait Louis. Ses ennemis firent frapper une médaille qui le représentait : il y avait pour légende, louis xiii, roi de france. On fit tomber cette médaille entre les mains du connétable de Montmorency, qui la montra tout en colère au roi, persuadé que le prince de Condé l'avait fait frapper. (Id., 1723). — Il est parlé de cette médaille dans Brantôme et dans Vigneul de Marville. (Id., 1741.)

  1. Racine a dit (Esther, acte Ier, scène ire) :
    Mais lui, voyant en moi la fille de son frère,
    Me tint lieu, chère Elise, et de père et de mère.