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Laissai toujours aux cieux le soin de leur vengeance[1],
On ne m’a jamais vu, surpassant mon pouvoir,
D’une indiscrète main profaner l’encensoir :
Et périsse à jamais l’affreuse politique
Qui prétend sur les cœurs un pouvoir despotique,
Qui veut, le fer en main, convertir les mortels,
Qui du sang hérétique arrose les autels,
Et, suivant un faux zèle, ou l’intérêt, pour guides,
Ne sert un Dieu de paix que par des homicides !
« Plût à ce Dieu puissant, dont je cherche la loi,
Que la cour des Valois eût pensé comme moi !
Mais l’un et l’autre Guise[2] ont eu moins de scrupule.
Ces chefs ambitieux d’un peuple trop crédule,
Couvrant leurs intérêts de l’intérêt des cieux[3],
Ont conduit dans le piège un peuple furieux,
Ont armé contre moi sa piété cruelle.
J’ai vu nos citoyens s’égorger avec zèle,
Et, la flamme à la main, courir dans les combats
Pour de vains arguments qu’ils ne comprenaient pas.
Vous connaissez le peuple, et savez ce qu’il ose
Quand, du ciel outragé pensant venger la cause,
Les yeux ceints du bandeau de la religion,
Il a rompu le frein de la soumission.

  1. Molière a dit dans Tartuffe, acte IV, scène ire :
    Des intérêts du ciel pourquoi vous chargez-vous?....
    Laissez-lui, laissez-lui le soin de sa vengeance.
  2. François, duc de Guise, appelé communément alors le grand duc de Guise, était père du Balafré. Ce fut lui qui, avec le cardinal son frère, jeta les fondements de la Ligue. Il avait de très-grandes qualités, qu'il faut bien se donner de garde de confondre avec la vertu.



    Le président de Thou, ce grand historien, rapporte que François de Guise voulut faire assassiner Antoine de Navarre, père de Henri IV, dans la chambre de
    François II. Il avait engagé ce jeune roi à permettre ce meurtre. Antoine de Navarre avait le cœur hardi, quoique l'esprit faible. Il fut informé du complot, et ne laissa pas d'entrer dans la chambre où on devait l'assassiner. « S'ils me tuent, dit-il à Reinsi, gentilhomme à lui, prenez ma chemise toute sanglante, portez-la à mon fils et à ma femme; ils liront dans mon sang ce qu'ils doivent faire pour me venger. » François II n'osa pas, dit M. de Thou, se souiller de ce crime; et le duc de Guise, en sortant de la chambre, s'écria : Le pauvre roi que nous avons! (Note de Voltaire, 1730.)
  3. On lit dans Tartuffe, acte Ier, scène vi :
    Et pour perdre quelqu'un couvrent insolemment
    De l'intérêt du ciel leur fier ressentiment.