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59 i VARIANTKS DU TEMPLE DU GOUT.

ministre était moins gracieusement accueilli par le dieu du Goût qu'un cer- tain duc son neveu, qui vient très-souvent dans le temple. Les connaisseurs en belles-lettres disent pour raison

Que dans co clianiiant sanctuaire L'honneur de protéger les beaux-arts qu'on chérit,

Mmîs auxquels on ne s'entend guère,

L'autorité du ministère,

L'éclat, l'intrigue et le crédit. Ne sauraient égaler les charmes de l'esprit,

Et le don fortuné de plaire.

Les connaisseurs en galanterie ajoutent que Son Éminence * fit jadis lamour en vrai pédant, et que son neveu s'y prend d'une manière assuré- ment tout opposée. Il y a dans cette demeure bien des habitants qui, comme lui. n'ont fait aucun ouvrage:

Qui, sagement livrés aux douceurs du loisir, Ont passé de leurs jours les moments délectables

A recevoir, à donner du plaisir. Do chanter et d'écrire ils ont été capables; Mais pour être en ce temple, et pour y réussir.

Qu'ont-ils fait? ils étaient aimables.

Cest entre ces voluptueux et les artistes qu'on trouve le facile, le sage, l'agréable La Fave : heureux qui pourrait, comme lui, passer les dernières années de sa vie tantôt en composant des vers aisés et pleins de grâce, tantôt écoutant ceux des autres sans envie et sans mépris; ouvrant son cabi- net ii tous les arts, et sa maison aux seuls hommes de bonne compagnie ! Combien de particuliers dans Paris pourraient lui ressembler dans l'usage de leur fortune ! mais le goût leur manque; ils jouissent insipidement, ils ne savent qu"ètre riches.

Devant le dieu est un grand autel, où les muses viennent présenter tour à tour des livres, des dessins, et des ornements de toute espèce : on y vovait tous les opéras de Lulli, et plusieurs opéras de Destouches et de Gampra. Le dieu eût désiré quelquefois, dans Destouches, une musique plus forte; souvent, dans Campra, un récitatif mieux déclamé; et de temps en temps, dans Lulli, (juelques airs moins froids. Tantôt les muses, tantôt les Pélissier et les Le 3Iaure, chantent ces opéras charmants : le temple résonne de leurs voix touchantes; tout ce qui est dans ces beaux lieux applaudit par un léger murmure, plus flatteur que ne le seraient les acclamations emportées du peuple. Les mauvais auteurs et leurs amis prêtent l'oreille autour du temple, entendent à peine quelques sons, et sifflent pour se venger.

��l.Le cardinal de Richelieu fit soutenir des thèses sur l'amour cliez sa nièce la duchesse d'Aiguillon : il y avait un président, un répondant, et des argumentants. Il y a à Paris une copie de ces thèses chez un curieux; elles soi>t divisées en plusieurs positions, comme les thèses de collège : la première position est « qu'il ne faut point parler d'un véritable amour après sa fin, parce qu'un véritable amour est sans fin ». (JS'ote de Voltaire, 1733.)

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