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B8 le temple DU GOUT.

nous faire lire certains passages de Dictys de Crète et de Métro- dore de Lampsaque, que Scaliger avait estropiés. Nous les remer- ciâmes de leur courtoisie, et nous continuâmes notre chemin. Nous n'eûmes pas lait cent pas, que nous trouvâmes un homme entouré de peintres, d'arciiitectes, de sculpteurs, de doreurs, de faux connaisseurs, de flatteurs. Ils tournaient le dos au Temple du Goût.

.^.. D'un air content l'orgueil se reposait,

Se pavanait sur son lari;;e visage;

Et mon Crassus tout en ronllant disait :

« J'ai beaucoup d'or, de l'esprit davantage;

Du goût, messieurs, j'en suis pourvu sur tout;

Je n'appris rien, je me connais à tout; ^^^^~ Je suis un aigle en conseil, en atfaires;

Malgré les vents, les rocs, et les corsaires.

J'ai dîans le port fait aborder ma nef :

Partant il faut qu'on me bâtisse en bref

Un beau palais fait pour moi, cest tout dire,

Où tous les arts soient en foule entassés,

Où tout le jour je prétends qu'on m'admire.

L'argent est prêt; je parle, obéi-sez. »

Il dit, et dort. Aussitôt la canaille

Autour de lui s'évertue et travaille.

Certain maçon, en Vitruve érigé,

Lui trace un plan d'ornements surchargé,

Nul vestibule, encor moins de façade;

Mais vous aurez une longue enfilade ;

Vos murs seront de deux doigts d'épaisseur,

Grands cabinets, salon sans profondeur,

Petits trumeaux, fenêtres à ma guise.

Que l'on prendra pour des portes d'église;

Le tout boisé, verni, blanchi, doré,

Et des badauds à coup sûr admiré.

« Réveillez-vous, monseigneur, je vous prie,

Criait un peintre; admirez l'industrie

De mes talents; lîaphaél n'a jamais

Entendu l'art d'embellir un palais :

C'est moi qui sais ennoblir la nature;

Je couvrirai plafonds, voûte, voussure,

Par cent magots travaillés avec soin.

D'un pouce ou deux, pour être vus de loin. » Crassus s'éveille; il regarde, il rédige,

A tort, à droit, règle, approuve, corrige.

A ses côtés un petit curieux,

Lorgnette en main, disait : « Tournez les yeux,

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