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IDÉE DE LA HENRIADE1

Le sujet de la Henriade est le siège de Paris, commencé par Henri de Valois et Henri le Grand, achevé par ce dernier seul.

Le lieu de la scène ne s'étend pas plus loin que de Paris à Ivry, où se donna cette fameuse bataille qui décida du sort de la France et de la maison royale.

Le poëme est fondé sur une histoire connue, dont on a conservé la hérité dans les événements principaux. Les autres, moins respectables, ont été ou retranchés, ou arrangés suivant la vraisemblance qu'exige un poëme. On a tâché d'éviter en cela le défaut de Lucain, qui ne fit qu'une gazette ampoulée ; et on a pour garant ces vers de M. Despréaux :

Loin ces rimeurs craintifs dont l'esprit flegmatique

Garde dans ses fureurs un ordre didactique.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pour prendre Lille il faut que Dôle soit rendue,

Et que leur vers exact, ainsi que Mézeray,

Ait déjà fait tomber les remparts de Courtray2.

On n'a fait même que ce qui se pratique dans toutes les tragédies, où les événements sont plies aux règles du théâtre.

Au reste, ce poëme n'est pas plus historique qu'aucun autre. Le Camoëns, qui est le Virgile des Portugais, a célébré un événement dont il avait été témoin lui-même. Le Tasse a chanté une croisade connue de tout le monde, et n'en a omis ni l'ermite Pierre, ni les processions. Virgile n'a construit la fable de son Énéide que des fables reçues de son temps, et qui passaient pour l'histoire véritable de la descente d'Énée en Italie.

Homère, contemporain d'Hésiode, et qui par conséquent vivait environ cent ans après la prise de Troie, pouvait aisément avoir

1. Ce morceau est aussi de 1730. (B.)

2. Boileau, Art poétique, chant II, vers 73-74, 78-80.