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VARIANTE DE LA NOTE DE M. MUllZA. 477

en a deux ou trois cents autres qui recueillent soigneusement ces fils qu'on a balayés, et qui en composent ce qu'on appelle des journaux; de laron que, depuis l'an 1666, nous avons environ dix mille journaux au moins, dans lesquels on a conservé près de trois cent mille extraits de livres inconnus : et, ce qui est fort à l'honneur de l'esprit humain, c'est que tout cela se fait pour gagner dix écus, pendant que ces messieurs auraient pu en gagner cent à labourer la terre.

« Il faut excepter sans doute le Journal des Savants, uniquement dicté |)ar l'amour des lettres, et le judicieux Bayle, l'éternel honneur de la raison humaine, et quelques-uns de ses sages imitateurs. J'excepte encore mes amis; mais je ne puis excepter frère Berthier, principal auteur du Journal de Trévoux, (|ui n'est point du tout mon ami.

« Il faut savoir qu'il y a non-seuloinent un Journal de Trévoux, mais encore un Dictionnaire de Trévoux : par conséquent il y a eu un peu de jalousie de métier entre les ignorants qui ont fait pour de l'argent le Dic- tionnaire de Trévoux, et les savants qui ont entrepris le Dictionnaire de V Encyclopédie , je ne sais pourquoi. Outre ces terribles savants, nous sommes une cinquantaine d'empoisonneurs, lieutenants généraux des armées du roi, commandants d'artillerie, prélats, magistrats, professeurs, académi- ciens, de belles dames même, et moi, cultivateur de la terre et partisan séditieux de la nouvelle charrue, qui tous avons conspiré contre l'État, en envoyant au magasin encyclopédique d'énormes articles. Quelques-uns sont remplis de longues déclamations qui n'apprennent rien; et beaucoup de nos méchants confrères ont manqué à la principale règle d'un dictionnaire, qui est de se contenter d'une définition courte et juste, d'un précepte clair et vrai, et de deux ou trois exemples utiles. Notre fureur de dire plus qu'il ne faut a enflé le dictionnaire, et en a fait un objet de papier et d'encre de plus de trois cent mille écus.

« Aussitôt les adverses parties ont soulevé la ville et la cour contre les entrepreneurs; on les a accablés des plus horribles injures. On a poussé la cruauté jusqu'à dire à Versailles qu'ils étaient des philosophes. Qu'est-ce que des philosophes ? a dit une grande dame. Un homme grave a répondu : .Madame, ce sont des gens de sac et de corde, qui examinent, dans quelques lignes d'un livre en vingt volumes in-folio, si les 'atomes sont insécables ou sécablcs, si on pense toujours quand on dort, si l'àme est dans la glande pinéale ou dans le corps calleux, si l'ànesse de Balaam était animée par le diable, seJon le sentiment du révérend Père Bougeant, et autres chose? sem- blables, capables de mettre le trouble dans les consciences timorées des tailleurs scrupuleux de Paris, et des pieuses revendeuses à la toilette, qui ne manqueront pas d'acheter ce livre, et de le lire assidûment. On a fourni des mémoires par lesquels on démontre que si le venin n'est pas expressé- ment dans les tomes imprimés, il se trouvera dans les articles des autres tomes, qu'il en résultera infailliblement des séditions et la ruine du royaume, et qu'enfin rien n'a jamais été plus dangereux dans un État que des philo- sophes.

« Pour dire le vrai, la cabale la plus acharnée a osé accuser d'une cabale

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