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AVANT-PROPOS DU ROI DE PRUSSE. 23

lui les i)r('jiii.H'S do toute rEuroi)c, et ceuK do sa propre nation, (pii était du sentiment ({lie repoi)ée ne réussirait jamais en iraneais ; il avait devant lui le triste exemple de ses précurseurs, qui avaient tous bronché dans cette pénible carrière ; il avait encore à combattre ce respect superstitieux du peuple savant pour Virgile et pour Homère, et, plus que tout cela, une santé faible et délicate, qui aurait mis tout autre homme moins sensible que lui à la gloire de sa nation hors d'état de travailler. C'est néanmoins malgré ces obstacles que M. de Voltaire est venu à bout d'exécuter son dessein, ([uoique aux dépens de sa fortune, et souvent de son repos.

Un génie aussi vaste, un esprit aussi sublime, un homme aussi laborieux <iue l'est M. de Voltaire, se serait ouvert le chemin aux emplois les plus illustres, s'il avait voulu sortir de la si)hère des sciences, qu'il cultive, pour se vouer à ces affaires (jue l'intérêt et l'ambition des hommes ont coutume d'appeler de solides occupations; mais il a préféré de suivre l'impulsion irrésistible de son génie pour ces arts et pour ces sciences aux avantages (jue la fortune aurait été forcée de lui accorder: aussi a-t-il fait des progrès (jui répondent parfaitement à son attente. Il fait autant d'honneur aux sciences (]ue les sciences lui en font : on ne le connaît dans la llenriade qu'en qua- lité de poète ; mais il est philosophe profond, et sage historien en mèm(^ temps.

Les sciences et les arts sont comme de vastes pays, qu'il nous est pres- <jue aussi impossible de subjuguer tous, qu'il l'a été à César, ou bien à Alexandre, de conquérir le monde entier : il faut beaucoup de talents et beaucoup d'application pour s'assujettir quelque petit terrain ; aussi la plu- part des hommes ne marchent-ils qu'à pas de tortue dans la conquête de ce pays. Il en a été cependant des sciences comme des empires du monde, qu'une infinité de petits souverains se sont partagés; et ces petits souverains réunis ont composé ce qu'on appelle des académies; et comme dans ces gouvernements aristocratiques il s'est souvent trouvé des hommes nés avec une intelligence supérieure, qui se sont élevés au-dessus des autres, de même les siècles éclairés ont produit des hommes qui ont uni en eux les sciences qui devaient donner une occupation suffisante à quarante tètes pen- santes. Ce que les Leibnitz, ce que les Fontenelle^ ont été de leur temps, M. de Voltaire l'est aujourd'hui; il n'y a aucune science qui n'entre dans la sphère de son activité; et, depuis la géométrie la plus sublime jusqu'à la poésie, tout est soumis à la force de son génie.

Malgré une vingtaine de sciences qui partagent M. de Voltaire, malgré ses fréquentes infirmités, et malgré les chagrins que lui donnent d'indignes envieux, il a conduit sa llenriade à un point de maturité oià je ne sache pas (ju'aucun poëme soit jamais parvenu.

On trouve toute la sagesse imaginable dans la conduite de la Henriade, L'auteur a profité des défauts qu'on a reprochés à Homère; ses chants et l'action ont peu ou point de liaison les uns avec les autres, ce qui leur a mérité le nom de rapsodies : dans la llenriade on trouve une liaison intime

1. Fontenclle vivait encore lors de la première éditiou de cet Avant-vropos. (B.)

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