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��DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 371)

qui l'auteur avait eu riionneur de vivre, et ([ui lui ont laissé de sincères regrets.

L'attention scrupuleuse qu'on a apportée, dans cette édition, doit servir de garant de tous les faits qui sont énoncés dans le poëme. Il n'en est aucun qui ne doive être cher à la nation et à toutes les familles qu'ils regardent. En effet, qui n'est touché sen- siblement en lisant le nom de son fils, de son frère, d'un parent cher, d'un ami tué ou blessé, ou exposé dans cette bataille qui sera célèbre à jamais; en lisant, dis-je, ce nom dans un ouvrage qui, tout faible qu'il est, a été honoré plus d'une fois des regards du monarque, et que Sa Majesté n'a permis qu'il lui fût dédié que parce qu'elle a oublié son éloge en faveur de celui des officiers qui ont combattu et vaincu sous ses ordres?

C'est donc moins en poète qu'en bon citoyen qu'on a travaillé. On n'a point cru devoir orner ce poëme de longues fictions, sur- tout dans la première chaleur du public, et dans un temps où l'Europe n'était occupée que des détails intéressants de cette vic- toire importante, achetée par tant de sang.

La fiction peut orner un sujet ou moins grand, ou moins inté- ressant, ou qui, placé plus loin de nous, laisse l'esprit plus tran- quille. Ainsi lorsque Despréaux s'égaya dans sa description du passage du lîhin, c'était trois mois après l'action; et cette action, toute brillante qu'elle fut, n'est à comparer ni pour l'importance ni pour le danger à une bataille rangée, gagnée sur un ennemi habile, intrépide, et supérieur en nombre, par un roi exposé, ainsi que son fils, pendant quatre heures au feu de l'artillerie.

Ce n'est qu'après s'être laissé emporter aux premiers mouve- ments de zèle, après s'être attaché uniquement à louer ceux qui ont si bien servi la patrie dans ce grand jour, qu'on s'est permis d'insérer dans le poëme un peu de ces fictions qui affaibliraient un tel sujet si on voulait les prodiguer ; et on ne dit ici en prose que ce que M. Addison lui-même a dit en vers dans son fameux poëme de la campagne d'Hochstedt.

On peut, deux mille ans après la guerre de Troie, faire appor- ter par Vénus à Énée des armes que Vulcain a forgées, et qui rendent ce héros invulnérable ; on peut lui faire rendre son épée par une divinité, pour la plonger dans le sein de son ennemi; tout le conseil des dieux peut s'assembler, tout l'enfer peut se déchaîner ; Alecton peut enivrer tous les esprits des venins de sa rage : mais ni notre siècle, ni un événement si récent, ni un ouvrage si court, ne permettent guère ces peintures devenues les lieux communs de la poésie. Il faut pardonner à un citoyen péné-

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