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LE TASSE.

que l’Arioste a plus de fertilité, plus de variété, plus d’imagination que tous les autres ensemble ; et si on lit Homère par une espèce de devoir, on lit et on relit l’Arioste pour son plaisir. Mais il ne faut pas confondre les espèces. Je ne parlerais point des comédies de l’Avare et du Joueur en traitant de la tragédie, l’Orlando furioso est d’un autre genre que l’Iliade et l’Énéide. On peut même dire que ce genre, quoique plus agréable au commun des lecteurs, est cependant très-inférieur au véritable poëme épique. Il en est des écrits comme des hommes. Les caractères sérieux sont les plus estimés, et celui qui domine son imagination est supérieur à celui qui s’y abandonne. Il est plus aisé de peindre des ogres et des géants que des héros, et d’outrer la nature que de la suivre.

Le Tasse naquit à Sorrento en 1544, le 11 mars, de Bernardo Tasso et de Porzia de Rossi. La maison dont il sortait était une des plus illustres d’Italie, et avait été longtemps une des plus puissantes. Sa grand’mère était une Cornaro : on sait assez qu’une

    plus tard (dans ses Questions sur l’Encyclopédie, au mot Épopée, il reparle du Roland le furieux, et fait un grand éloge de ce prodigieux ouvrage. « Je n’avais pas osé autrefois le compter (Arioste) parmi les poëtes épiques… et je lui fais humblement réparation. » Bettinelli, dans ses Lettere sopra gli epigrammi, analysées par Suard (Mélanges de littérature, Paris, 1803, in-8o, tome Ier, pages 20-27), prétend que c’est lui qui décida Voltaire à modifier le jugement qu’il avait porté d’abord sur l’Arioste. Cela se peut : mais Voltaire, avant de connaître Bettinelli, avait déjà changé d’opinion sur l’Arioste et corrigé quelques expressions.

    En 1733 il disait : «…… parmi les poëtes épiques. Mais il faut qu’ils songent qu’en fait de tragédie il serait hors de propos de citer l’Avare et le Grondeur ; et, quoi que plusieurs Italiens en disent, l’Europe ne mettra l’Arioste avec le Tasse que lorsqu’on placera l’Énéide avec le Roman comique, et Callot à côté du Corrége. Le Tasse naquit, etc. »

    En 1738 il corrigea : « Lorsqu’on placera l’Énéide avec Don Quichotte, et Callot à côté du Corrége. Le Tasse naquit, etc. »

    En 1742 il disait : «…… à côté du Corrége. L’Arioste est un poëte charmant, mais non pas un poëte épique. Je suis bien loin de rétrécir la carrière des arts, et de donner des exclusions ; mais enfin, pour être poëte épique, il faut au moins avoir un but ; et l’Arioste semble n’avoir que celui d’entasser fable sur fable ; c’est un recueil de choses extravagantes écrit d’un style enchanteur. Je n’ai pas osé placer Ovide parmi les poëtes épiques, parce que ses Métamorphoses, toutes consacrées qu’elles sont par la religion des anciens, ne font pas un tout, ne sont pas un ouvrage régulier : comment donc y placerais-je l’Arioste, dont les fables sont si fort au-dessous des Métamorphoses ? Le Tasse naquit, etc. »

    En 1746 il supprima presque tout ce qu’il avait ajouté en 1742. Il n’en conserva que la première phrase : « L’Arioste est un poëte charmant, mais non pas un poëte épique. »

    En 1748, 1751, 1732, il supprima cette phrase, et s’en tint au texte de 1738.

    C’est de 1756 qu’est le texte actuel. Mais ce n’est pas de ce texte que veut parler Bettinelli ; c’est de ce que Voltaire a dit dans son article Épopée. (B.)