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ÉTAT DES RECHERCHES HISTORIQUES.

Ce n’est pourtant pas le sentiment qui a prévalu chez la plupart des historiens. Le goût des complications dramatiques entre pour beaucoup, assurément, dans l’opinion contraire. Mais ce qui l’a entretenue et fortifiée, c’est la tendance qui, au moment même de la catastrophe, fit naître et accrédita des bruits de complot. On se persuade malaisément qu’un événement qui a les plus graves conséquences politiques ait pour auteur un individu isolé et obscur, mû et poussé par de funèbres rêveries. On a peine à accepter le rôle du grain de sable dans les affaires de ce monde. Aussi, bien des rumeurs ne manquèrent pas de circuler à la mort de Henri IV, « dans l’horreur et l’indignation, comme dit Bossuet, qu’inspira un coup si soudain et si exécrable ». L’Estoile s’est fait, à son ordinaire, l’écho immédiat de ces rumeurs. Elles se renouvelèrent par la suite, et l’on chercha à leur donner plus de consistance. Sept mois après le supplice de Ravaillac, au mois de janvier 1611, Jacqueline de Voyer, dite la d’Escoman, épouse d’Isaac de la Varenne, femme faisant métier de la galanterie, adressa à la justice des dénonciations contre la marquise de Verneuil, Henriette d’Entragues. Elle fut traduite, non devant une commission, mais devant le parlement, devant la justice régulière du pays. Les chambres, assemblées et présidées par le vieil ami de Henri IV, Achille de Harlay, reçurent d’abord les dénonciations de la d’Escoman. Elle fut jugée ensuite par une chambre du parlement composée de dix-huit conseillers ; elle fut déclarée calomniatrice, condamnée à la prison perpétuelle, et ceux qu’elle avait accusés furent déchargés et proclamés innocents (23 et 30 juillet 1611). L’accusation était, en effet, des moins vraisemblables. La marquise de Verneuil n’avait aucun intérêt au crime et en avait un immense à l’empêcher. Même après son refroidissement pour elle, le roi lui demeurait attaché par le lien d’une ancienne affection, par le lien bien autrement fort de leurs enfants. Henri mort, elle perdait tout appui ; elle tombait à la merci de la reine, qui l’avait toujours détestée. Comment donc expliquer cette accusation ? Il est clair que la d’Escoman essaya d’exploiter ces rancunes de la régente, qui étaient bien connues. Elle crut que Marie de Médicis lui saurait gré de diriger contre une ancienne rivale les soupçons qui inquiétaient les esprits : elle fut déçue dans son calcul. Non-seulement la reine ne prit pas son parti, mais l’opinion publique ne la soutint pas davantage.

Quelques années plus tard, en 1615, une tentative analogue, mais plus politique, a lieu. Les circonstances ont changé. L’autorité de Marie de Médicis et du duc d’Épernon est ébranlée et impopulaire. Un aventurier nommé Pierre Dujardin, fils d’un plâtrier de Rouen, se faisant appeler capitaine et sieur de La Garde, après avoir été offrir ses services dans les diverses cours de l’Europe et n’avoir pu demeurer nulle part, rentrait en France. Voulant attirer l’attention sur lui et faire un coup d’éclat, il publie un factum dans lequel il accuse le conseil d’Espagne, le jésuite Alagona et le duc d’Épernon, d’avoir été les instigateurs de l’assassinat de Henri IV. Il y faisait le récit romanesque et incontestablement faux d’une rencontre qu’il aurait faite de Ravaillac à Naples en 1609. Il est enfermé à la Bastille, puis à la Conciergerie ; il subit de nombreux interrogatoires. Aucune des ambitions rivales qui s’agitaient alors ne consent à s’armer, comme il l’espérait, de ses dénonciations. Le grand ennemi de l’Espagne et du duc d’Épernon, Richelieu, les méprise. Pierre Dujardin est rendu à la liberté après une captivité assez longue, et disparaît dans l’obscurité. La conduite du duc d’Épernon, qui eût été l’intermédiaire du conseil d’Espagne auprès de Ravaillac, ne prêtait nullement à ces attaques. Il avait empêché le peuple de massacrer Ravaillac au moment de l’assassinat ; ce n’était pas l’acte d’un complice qui, si prudente qu’eût été son intervention, aurait toujours eu quelque révélation à craindre. On a dit que cette conduite était une preuve de sang-froid, une habileté ; mais, avec de telles interprétations, il est évident qu’on n’a plus aucun moyen de juger les actions des hommes.