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ÉTAT DES RECHERCHES HISTORIQUES.

Après avoir subi ces effroyables tortures, au moment d’être tiré à quatre chevaux, Ravaillac demanda l’absolution à son confesseur, l’un des docteurs de Sorbonne. Celui-ci la lui refusa, en disant que cela lui était défendu en crime de lèse-majesté au premier chef, s’il ne voulait révéler ses fauteurs et complices. Il répondit qu’il n’en avait point, ainsi qu’il avait souvent protesté et protestait encore derechef. Le prêtre ne voulant, pas passer outre : « Donnez-moi, dit le mourant, l’absolution, au moins à condition, au cas que ce que je dis soit vrai. — Je le veux, lui répondit le confesseur, mais à cette condition qu’au cas qu’il ne soit ainsi, votre âme, au sortir de cette vie que vous allez perdre, s’en va droit en enfer et au diable, ce que je vous dénonce de la part de Dieu comme certain et infaillible. — Je l’accepte et la reçois, dit-il, à cette condition. »

On fit tirer les chevaux par petites secousses pendant une demi-heure, et, dans les temps d’arrêt, le greffier l’admonesta encore à plusieurs reprises de dire la vérité. Le malheureux eut la force de répéter : « Il n’y a que moi qui l’ai fait ! » Un des chevaux étant trop fatigué pour continuer à tirer, un cavalier donna le sien. Au bout d’une grande heure d’écartèlement, Ravaillac fut enfin démembré, puis mis en pièces par la populace.

Soit que l’on considère les circonstances qui précédèrent l’attentat, soit que l’on considère celles qui le suivirent, il est évident que Ravaillac obéit à une impulsion personnelle et non à un mot d’ordre, qu’il agit pour son compte, sous l’empire de passions aveugles, et non pour le compte d’autrui. Ses fausses démarches, ses indiscrétions, ses incertitudes, eussent fait de cet homme l’agent de complot le plus invraisemblable. Rappelez-vous cet habit vert qui attire les yeux, ces visites à tous les personnages qui peuvent lui donner accès auprès du roi, ce dénûment qui le force une première fois à quitter Paris ; au moment où il commit son crime, il n’avait plus que trois quarts d’écu ; si l’occasion de l’exécuter ne s’était pas offerte, il eût été obligé, comme il l’a avoué, de repartir le lendemain pour Angoulême. Puis songez à ces dénégations persévérantes dans les tortures et en présence de la mort. La confession de ses angoisses et de ses hallucinations a, d’ailleurs, un caractère de vérité incontestable. Lorsqu’on examine ainsi le personnage de près, aucun doute n’est possible.