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ÉTAT DES RECHERCHES HISTORIQUES.

On a dit que l’instruction fut écourtée, la condamnation brusquée. M. Poirson, dans le dernier volume de son Histoire du règne de Henri IV, fait bonne justice de ces assertions. Achille de Harlay présidait la commission, c’est dire qu’aucune corruption, ni aucune complaisance n’est admissible. On avait affaire à un assassin pris en flagrant délit et avouant son crime. Il n’y avait donc qu’à s’assurer s’il avait des complices. Sa prison, ses interrogatoires, ses tortures, durèrent treize jours. Le peuple exaspéré réclamait la mort du meurtrier avec une impatience à laquelle il eût été dangereux de résister plus longtemps. Les juges et le greffier, tant pendant le cours de l’instruction qu’après le jugement, lui firent subir dix-sept interrogatoires, le pressant de déclarer les instigateurs ou les confidents de l’attentat. Le président de Harlay le menaça, s’il ne les nommait pas, de faire venir son père et sa mère, qui seraient déchirés sous ses yeux. L’assassin fut troublé par cette menace, mais persista à soutenir qu’il n’avait ni confident, ni complice. On lui fit subir deux fois la question, une première fois extra-légalement à l’hôtel de Retz, au moyen de vis de carabine serrées et avec une telle violence qu’il eut les os des pouces rompus ; une seconde fois à la fin de l’instruction et par l’ordre des juges. On lui mit les brodequins ; trois coins furent enfoncés successivement. Le patient poussa de grands cris, mais ne varia point dans ses déclarations ; il perdit la parole, s’évanouit, resta demi-mort. À chaque période de la torture, on interroge Ravaillac ; ses réponses sont consignées dans le procès-verbal qu’on a publié. Ravaillac répond constamment, au milieu des plus horribles douleurs, que jamais ni Français ni étranger ne lui a conseillé ni persuadé de commettre l’attentat que seul il a résolu et seul il a commis ; et que « s’il avait été induit à ce fait par quelqu’un de France ou de l’étranger, et qu’il fut tant abandonné de Dieu que de vouloir mourir sans le déclarer, il ne croirait pas être sauvé ni qu’il y eût de paradis pour lui ».

Deux docteurs en Sorbonne, les plus doctes et les plus honnêtes qu’il y eut alors, les docteurs Filsac et Gamaches, ne le quittèrent pas dans l’intervalle de plusieurs heures qui sépara la torture du supplice. Ils lui firent signer et avouer tout haut sa confession, où il affirmait encore n’avoir agi que de son propre mouvement et par la suggestion de l’esprit du mal.

À trois heures de l’après-midi, on le fit sortir de prison, et avant même que d’en sortir il put juger de la rage excitée par son crime. Il ne croyait pas à la fureur du peuple. Quand il entendit donner des ordres pour l’empêcher d’être déchiré dans le trajet, il dit avec orgueil qu’on n’aurait garde de le toucher, persuadé qu’on lui savait gré, au contraire, d’avoir délivré le royaume d’un monarque contre lequel il avait entendu tant de plaintes. Il fut bientôt détrompé. Il faillit être étranglé d’abord par les prisonniers. Puis, dans la cour du Palais et sur tout le chemin qu’il parcourut, la foule fut contenue avec peine ; elle voulait le mettre en pièces, elle vomissait feux et flammes contre lui. La colère publique était montée à un degré inouï.

On le mena faire amende honorable à Notre-Dame, puis on le conduisit à la place de la Grève, où il souffrit les plus horribles supplices, qui ne pouvaient satisfaire encore la vengeance du peuple. Le feu fut mis à son bras ; sa main droite percée de part en part d’un couteau rougi au feu de soufre. Ensuite, on lui déchira la poitrine et le gras des jambes avec des tenailles rougies. On arrosa les plaies avec du plomb fondu, de la cire, du soufre, de l’huile et de la poix bouillantes. Il poussait des hurlements affreux. La multitude criait qu’on allait trop vite, qu’il fallait le faire languir. Lorsque le clergé voulut réciter les prières accoutumées, elle s’y opposa, criant qu’il ne fallait pas prier pour ce méchant et traître parricide.