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ÉTAT DES RECHERCHES HISTORIQUES.

Dans ces premières années du dix-septième siècle, vivait à Angoulême un pauvre hère, moitié procureur, moitié maître d’école, nommé François Ravaillac. Il était solliciteur de procès, c’est-à-dire à peu près ce qu’on appelle maintenant homme d’affaires ; mais il faisait peu de chose de ce métier. À défaut de procès à solliciter, il apprenait leurs prières à de petits enfants pauvres, dont les parents le payaient en objets de consommation, pain, vin, lard, etc. Né en 1578, ayant donc eu trente ans en 1608, il était grand, robuste, large des épaules. Roux de cheveux et de barbe, d’un roux foncé et noirâtre, il avait une physionomie sinistre. Un meurtre ayant été commis dans la ville, il en fut soupçonné, probablement à cause de cette inquiétante physionomie, et tenu en prison pendant un an, après quoi on l’acquitta. Il fut remis en prison pour dettes, puis relâché. Il menait une existence assez précaire et misérable ; il habitait avec sa mère, qui était séparée de son mari et qui allait à l’aumône. Il partageait les idées les plus exaltées qu’eussent laissées après elles les guerres de religion à peine apaisées.

Il s’était développé pendant la Ligue un certain mysticisme politique, inventé ou réchauffé par les théologiens espagnols afin de favoriser le gouvernement autocratique de Philippe II et ses prétentions à la monarchie universelle, et qui, importé en France, avait dénaturé le caractère national de ce grand mouvement populaire. C’est ce que les auteurs de la Satire Ménippée appellent « le faux catholicon d’Espagne ». Parmi ces doctrines se mêlaient de dangereuses discussions sur le régicide. Filles de l’Inquisition espagnole, répandues chez nous à la faveur des dissensions civiles qui agitèrent la dernière moitié du seizième siècle, prêchées au peuple au milieu des soulèvements de la Ligue, ces doctrines troublèrent beaucoup d’esprits, égarèrent des âmes crédules et sombres.

Quoique le pays, sous le règne de Henri IV, échappât de plus en plus à cette influence malsaine et antifrançaise, les fougueuses passions de la période antérieure persistaient dans une minorité intraitable. Toutes les fois que la politique royale se mettait en opposition plus ouverte avec l’ancien esprit de la Ligue, il y avait une recrudescence de ces déclamations dans lesquelles les guerres de religion prolongeaient leur retentissement. Elles entretenaient, dans une partie de la population, une irritation et des plaintes qui pouvaient faire illusion sur les sentiments que le monarque inspirait à la grande masse de la nation et qui éclatèrent à sa mort. Impuissantes à produire aucun mouvement sérieux, elles avaient un danger, c’était d’exalter des imaginations inflammables, d’enfiévrer des esprits maladifs. On en avait eu la preuve trop fréquente pendant ce règne. C’était ce vieux levain de fanatisme qui avait fomenté la plupart des tentatives faites contre la vie du roi. Il allait susciter Ravaillac.