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ESSAI SUR LES GUERRES CIVILES

front. Plusieurs courtisans accoururent au bruit. Leur devoir exigeait qu’ils arrêtassent le moine pour l’interroger, et tâcher de découvrir ses complices ; mais ils le tuèrent sur-le-champ, avec une précipitation qui les fit soupçonner d’avoir été trop instruits de son dessein. Henri de Navarre fut alors roi de France par le droit de sa naissance, reconnu d’une partie de l’armée, et abandonné par l’autre.

Le duc d’Épernon, et quelques autres, quittèrent l’armée, alléguant qu’ils étaient trop bons catholiques pour prendre les armes en faveur d’un roi qui n’allait point à la messe. Ils espéraient secrètement que le renversement du royaume, l’objet de leurs désirs et de leur espérance, leur donnerait occasion de se rendre souverains dans leur pays.

Cependant l’attentat de Clément fut approuvé à Rome, et ce moine adoré dans Paris. La sainte Ligue reconnut pour son roi le cardinal de Bourbon, vieux prêtre, oncle de Henri IV, pour faire voir au monde que ce n’était pas la maison de Bourbon, mais les hérétiques, que sa haine poursuivait.

Ainsi le duc de Mayenne fut assez sage pour ne pas usurper le titre de roi ; et cependant il s’empara de toute l’autorité royale, pendant que le malheureux cardinal de Bourbon, appelé roi par la Ligue, fut gardé prisonnier par Henri IV le reste de sa vie, qui dura encore deux ans. La Ligue, plus appuyée que jamais par le pape, secourue des Espagnols, et forte par elle-même, était parvenue au plus haut point de sa grandeur, et faisait sentir à Henri IV cette haine que le faux zèle inspire, et ce mépris que font naître les heureux succès.

Henri avait peu d’amis, peu de places importantes, point d’argent, et une petite armée ; mais son courage, son activité, sa politique, suppléaient à tout ce qui lui manquait. Il gagna plusieurs batailles, et entre autres celle d’Ivry sur le duc de Mayenne, une des plus remarquables qui aient jamais été données. Les deux généraux montrèrent dans ce jour toute leur capacité, et les soldats tout leur courage. Il y eut peu de fautes commises de part et d’autre. Henri fut enfin redevable de la victoire à la supériorité de ses connaissances et de sa valeur : mais il avoua que Mayenne avait rempli tous les devoirs d’un grand général : « Il n’a péché, dit-il, que dans la cause qu’il soutenait. »

Il se montra après la victoire aussi modéré qu’il avait été terrible dans le combat. Instruit que le pouvoir diminue souvent quand on en fait un usage trop étendu, et qu’il augmente en l’employant avec ménagement, il mit un frein à la fureur du sol-