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Que la mère et le fils vous servent de pâture
Craignez-vous plus que moi d’outrager la nature ?
Quelle horreur à mes yeux semble vous glacer tous !
Tigres, de tels festins sont préparés pour vous. »
Ce discours insensé, que sa rage prononce[1],
Est suivi d’un poignard qu’en son cœur elle enfonce.
De crainte, à ce spectacle, et d’horreur agités,
Ces monstres confondus courent épouvantés.
Ils n’osent regarder cette maison funeste ;
Ils pensent voir sur eux tomber le feu céleste,
Et le peuple, effrayé de l’horreur de son sort,
Levait les mains au ciel, et demandait la mort.
Jusqu’aux tentes du roi mille bruits en coururent ;
Son cœur en fut touché, ses entrailles s’émurent ;
Sur ce peuple infidèle il répandit des pleurs :
« Ô Dieu ! s’écria-t-il, Dieu qui lis dans les cœurs,
Qui vois ce que je puis, qui connais ce que j’ose,
Des ligueurs et de moi tu sépares la cause.
Je puis lever vers toi mes innocentes mains
Tu le sais, je tendais les bras à ces mutins ;
Tu ne m’imputes point leurs malheurs et leurs crimes.
Que Mayenne à son gré s’immole ces victimes :
Qu’il impute, s’il veut, des désastres si grands
À la nécessité, l’excuse des tyrans ;
De mes sujets séduits qu’il comble la misère ;
Il en est l’ennemi ; j’en dois être le père :
Je le suis ; c’est à moi de nourrir mes enfants,
Et d’arracher mon peuple à ces loups dévorants :
Dût-il de mes bienfaits s’armer contre moi-même,
Dussé-je, en le sauvant, perdre mon diadème,
Qu’il vive, je le veux, il n’importe à quel prix ;
Sauvons-le, malgré lui, de ses vrais ennemis[2] ;
Et, si trop de pitié me coûte mon empire,

  1. Imitation de Corneille (Œdipe, acte V, scène viii) :
    Cet arrêt qu'à nos yeux lui-même il se prononce.
    Est suivi d'un poignard qu'en son flanc il enfonce.
  2. Racine a dit dans Bajazet, acte IV, scène vii :
    Sauvons-le malgré lui de ce péril extrême.