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Ce n’était plus ces jeux, ces festins, et ces fêtes,
Où de myrte et de rose ils couronnaient leurs têtes ;
Où, parmi des plaisirs toujours trop peu goûtés,
Les vins les plus parfaits, les mets les plus vantés,
Sous des lambris dorés qu’habite la Mollesse,
De leurs goûts dédaigneux irritaient la paresse.
On vit avec effroi tous ces voluptueux,
Pâles, défigurés, et la mort dans les yeux[1],
Périssant de misère au sein de l’opulence,
Détester de leurs biens l’inutile abondance.
Le vieillard, dont la faim va terminer les jours,
Voit son fils au berceau, qui périt sans secours.
Ici meurt dans la rage une famille entière.
Plus loin, des malheureux, couchés sur la poussière,
Se disputaient encore, à leurs derniers moments,
Les restes odieux des plus vils aliments.
Ces spectres affamés, outrageant la nature,
Vont au sein des tombeaux chercher leur nourriture.
Des morts épouvantés les ossements poudreux,
Ainsi qu’un pur froment, sont préparés par eux.
Que n’osent point tenter les extrêmes misères !
On les vit se nourrir des cendres de leurs pères.
Ce détestable mets[2] avança leur trépas,
Et ce repas pour eux fut le dernier repas.
Ces prêtres cependant, ces docteurs fanatiques,
Qui, loin de partager les misères publiques,
Bornant à leurs besoins tous leurs soins paternels,
Vivaient dans l’abondance à l’ombre des autels[3],
Du Dieu qu’ils offensaient attestant la souffrance,
Allaient partout du peuple animer la constance.

  1. J.-B. Rousseau, dans sa cantate vii :
    Circé, pâle, interdite, et la mort dans les yeux.
  2. Ce fut l’ambassadeur d’Espagne auprès de la Ligue qui donna le conseil de faire du pain avec des os de morts ; conseil qui fut exécuté, et qui ne servit qu’à avancer les jours de plusieurs milliers d’hommes. Sur quoi on remarque l’étrange faiblesse de l’imagination humaine. Ces assiégés n’auraient pas osé manger la chair de leurs compatriotes qui venaient d’être tués, mais ils mangeaient volontiers les os. (Note de Voltaire, 1730.)
  3. On fit la visite, dit Mézeray, dans les logis des ecclésiastiques et dans les couvents, qui se trouvèrent tous pourvus, même celui des capucins, pour plus d’un an. (Id., 1730.)