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Et la terre n’attend, pour donner ses moissons,
Ni les vœux des humains, ni l’ordre des saisons.
L’homme y semble goûter, dans une paix profonde,
Tout ce que la nature, aux premiers jours du monde,
De sa main bienfaisante accordait aux humains,
Un éternel repos, des jours purs et sereins,
Les douceurs, les plaisirs que promet l’abondance,
Les biens du premier âge, hors la seule innocence.
On entend, pour tout bruit, des concerts enchanteurs
Dont la molle harmonie inspire les langueurs ;
Les voix de mille amants, les chants de leurs maîtresses
Qui célèbrent leur honte, et vantent leurs faiblesses.
Chaque jour on les voit, le front paré de fleurs,
De leur aimable maître implorer les faveurs ;
Et, dans l’art dangereux de plaire et de séduire,
Dans son temple à l’envi s’empressent de s’instruire.
La flatteuse Espérance, au front toujours serein,
À l’autel de l’Amour les conduit par la main.
Près du temple sacré les Grâces demi-nues
Accordent à leurs voix leurs danses ingénues[1],
La molle Volupté, sur un lit de gazons,
Satisfaite et tranquille, écoute leurs chansons.
On voit à ses côtés le Mystère en silence,
Le Sourire enchanteur, les Soins, la Complaisance,
Les Plaisirs amoureux, et les tendres Désirs,
Plus doux, plus séduisants encor que les Plaisirs.
De ce temple fameux telle est l’aimable entrée.
Mais, lorsqu’en avançant sous la voûte sacrée,
On porte au sanctuaire un pas audacieux,
Quel spectacle funeste épouvante les yeux !
Ce n’est plus des Plaisirs la troupe aimable et tendre :
Leurs concerts amoureux ne s’y font plus entendre.
Les Plaintes, les Dégoûts, l’Imprudence, la Peur,
Font de ce beau séjour un séjour plein d’horreur.

  1. J.-B. Rousseau (Ode à une jeune veuve, livre II, ode vii) :
    Une riante jeunesse
    Folâtre autour de l'autel ;
    Les Grâces à demi nues
    A ces danses ingénues
    Mêlent de tendres accents;
    Et sur un trône de nues,
    Vénus reçoit votre encens.