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Sur un champ de bataille, au sein de la victoire,
On voit en un moment ces captifs éperdus,
Contents de leur défaite, heureux d’être vaincus :
Leurs yeux sont éclairés, leurs cœurs n’ont plus de haine ;
Sa valeur les vainquit, sa vertu les enchaîne ;
Et, s’honorant déjà du nom de ses soldats,
Pour expier leur crime, ils marchent sur ses pas.
Le généreux vainqueur a cessé le carnage ;
Maître de ses guerriers, il fléchit leur courage.
Ce n’est plus ce lion qui, tout couvert de sang,
Portait avec l’effroi la mort de rang en rang ;
C’est un dieu bienfaisant qui, laissant son tonnerre,
Enchaîne la tempête, et console la terre.
Sur ce front menaçant, terrible, ensanglanté,
La paix a mis les traits de la sérénité.
Ceux à qui la lumière était presque ravie,
Par ses ordres humains sont rendus à la vie ;
Et sur tous leurs dangers, et sur tous leurs besoins,
Tel qu’un père attentif il étendait ses soins.
Du vrai comme du faux la prompte messagère,
Qui s’accroît dans sa course, et d’une aile légère,
Plus prompte que le temps, vole au delà des mers,
Passe d’un pôle à l’autre, et remplit l’univers ;
Ce monstre composé d’yeux, de bouches, d’oreilles[1],
Qui célèbre des rois la honte ou les merveilles,
Qui rassemble sous lui la Curiosité,
L’Espoir, l’Effroi, le Doute, et la Crédulité,
De sa brillante voix, trompette de la gloire,
Du héros de la France annonçait la victoire.

  1. Boileau, dans le Lutrin, chant II, vers 2, appelle la Renommée :
    Ce monstre composé de bouches et d'oreilles.

    J.-B. Rousseau, dans son Ode au prince Eugène, a dit :
    Ce monstre difforme
    Tout couvert d'oreilles et d'yeux.

    Ces descriptions modernes de la Renommée sont imitées de Virgile et d'Ovide;
    Monstrum horrendum, ingens; cui, quot sunt corpore plumæ,
    Tot vigiles oculi subter,mirabile dictu,
    Tot linguæ, totidem ora sonant, tot subrigit aures.

    Æn., IV, 181-183.

     
    Tota frémit, vocesque refert, iteratque quod audit.

    Métamorph., X.II, 47.