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Fille de tes travaux, vient enrichir la France.

    les autres d'aller plus loin, furent disgraciés; et on obtint du roi que Fouquet, qui aurait pu du fond de sa retraite démasquer ses ennemis, serait mis dans une prison perpétuelle. C’est sous ces auspices que Colbert parvint au ministère. Ses premières opérations furent la remise des arrérages des tailles. Le trésor ne sacrifiait, par cet arrangement, que ce qu'il ne pouvait espérer de recouvrer. A la vérité on joignit à cette remise une diminution de tailles; mais elle fut bientôt remplacée, et au delà, sous une autre forme. On retrancha le quatrième des rentes, c'est-à-dire qu'on fit banqueroute d'un quart de ce que le roi devait aux rentiers. Depuis cette époque, on compta les années de l'administration de Colbert par des impôts et par des emprunts. Il est vrai que l'on prétend qu'il s'opposa aux emprunts; que même le premier président ayant proposé à Louis XIV un emprunt, au lieu d'un impôt qu'il voulait établir, et le roi l'ayant accepté, Colbert dit au premier président : « Vous venez d'ouvrir une plaie que vos petits-fils ne verront pas refermer. » Si ce trait est vrai, Colbert avait bien vu ; mais il n'en est pas plus excusable, à moins qu'on n'établisse comme un principe de morale qu'il est permis à un ministre de faire le mal, lorsque ce mal lui est nécessaire pour conserver sa place. Quant aux impôts, la forme la plus onéreuse au peuple fut constamment préférée. Le code des aides, celui des gabelles, que Colbert publia, sont un monument d'absurdité et de tyrannie; il est impossible de porter plus loin le mépris des hommes; il est impossible que le ministre qui a écrit ce code eût conservé quelques sentiments d'humanité ou de justice: dans ses règlements sur les manufactures, on érigea en loi ce qui n'était que l'avis des fabricants habiles sur la manière de fabriquer, et on soumit à des peines corporelles et infamantes les ouvriers qui ne se conformeraient pas à ces opinions. Enfin Colbert, n'ayant plus d'expédients, imagina de faire une opération sur les petites monnaies, et de soumettre à des droits les denrées qui servent à la subsistance du petit peuple de Paris. Il mourut ; et son enterrement fut troublé par la populace, que ces dernières opérations avaient révoltée, et qui voulait déchirer son corps. Tel fut Colbert; et nous n'avons rien dit qui ne soit prouvé ou par l'histoire ou par la suite même de ses lois : comment donc cet homme eut-il une si grande réputation? Comment M. de Voltaire, l'ami de l'humanité, l'a-t-il appelé le premier des humains? C'est ce qui nous reste à expliquer. Colbert établit de la régularité dans la recette des impôts, et de l'ordre dans les dépenses. Cet ordre n'était pas de l'économie, les citoyens étaient toujours vexés; mais les vexations étaient moins arbitraires; les grands, les propriétaires riches, étaient ménagés, le peuple souffrait seul ; et ses cris, étouffés par une administration vigilante et rigoureuse, n'étaient pas entendus au milieu des fêtes de la cour. La France, depuis les malheurs de François Ier jusqu'à la paix des Pyrénées, avait été dans un état de trouble et de désastres : ses frontières menacées et envahies, les guerres de religion, les guerres des grands contre Richelieu et Mazarin, la puissance des seigneurs dans les provinces; toutes ces causes s'opposaient également à l'industrie du cultivateur et à celle de l'artisan. Personne n'osait et même ne pouvait faire d'avance ni pour la culture, ni pour des entreprises de manufactures. Le commerce extérieur n'avait pu s'établir; le commerce intérieur était languissant. On commença à respirer après la paix des Pyrénées; les frontières étaient en sûreté, la paix régnait dans l'intérieur des provinces. L'autorité du roi ne souffrait plus de partage, et les vexations particulières cessèrent d'être à craindre. Plus la nation avait été épuisée, plus ses progrès durent être rapides; et il était naturel qu'on attribuât à Colbert ce qui était l'ouvrage des circonstances. Colbert parut avoir encouragé le commerce et les manufactures, parce qu'il fit