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Ô toi, moins puissant qu’eux, moins vaste en tes desseins,
Toi, dans le second rang le premier des humains,
Colbert[1], c’est sur tes pas que l’heureuse abondance,

  1. Les opinions sur Colbert sont si opposées entre elles, ses admirateurs l'ont placé si haut, ses détracteurs l'ont ensuite tant rabaissé, qu'il n'existe peut-être pas un seul livre où il soit mis à sa véritable place.

    Pour juger un ministre, il faut examiner ses lois et ses opérations, les rapprocher des circonstances, de l'histoire de son temps, et surtout des lumières de ses contemporains. Si un homme d'État a montré de l'humanité et de la justice; si, quoique gêné par les circonstances et par les événements, il a eu le bonheur du peuple pour premier objet; s'il a prouvé qu il avait les mêmes lumières que les hommes éclairés de son siècle, on doit respecter sa mémoire, et lui pardonner de n'avoir été ni supérieur aux événements, ni au-dessus de ses contemporains.

    Colbert, fils d'un marchand, d'abord commis d'un négociant;, puis clerc de notaire, devint intendant du cardinal Mazarin. Fouquet avait été surintendant dans les dernières années de la vie du cardinal ; son administration était également onéreuse et corrompue.

    Des traitants inventaient de nouveaux offices, de nouveaux droits sur les consommations, réveillaient d'anciennes prétentions domaniales, inventaient des privilèges exclusifs, des lettres de maîtrise, faisaient revivre des arrérages d'impôts. Fouquet agréait ces projets, et en vendait le produit aux inventeurs, moyennant une somme payée comptant. Le gouvernement, alors très-faible, protégeait peu ces traitants; mais comme ils ne donnaient qu'une petite partie de la valeur de ce qu'on leur accordait, ils gagnaient encore beaucoup. Des parts dans les profits ou une somme d'argent décidaient de la préférence que le premier ministre et le surintendant accordaient aux faiseurs de projets. Ces emplois subalternes et les détails de cette corruption furent la première école de Colbert. Le cardinal le recommanda en mourant au roi comme un homme qui lui serait utile.

    Le premier soin de Colbert fut de chercher à perdre Fouquet. Il lui était aisé de montrer à Louis XIV que ce ministre n'était qu'un homme vain, uniquement
    occupé de soutenir ses profusions par des moyens ruineux, et ne sachant qu'emprunter. Mais ce n'était pas sa disgrâce, c'était sa perte que ses ennemis voulaient, parce que Fouquet, disgracié, eût pu éclairer le roi sur la conduite passée de Colbert et des autres ministres.

    Cependant Fouquet était procureur général, et ne pouvait être jugé que par le parlement. Ce droit n'est, à la vérité, que le droit commun de tout citoyen ; mais il est bien moins facile de le violer contre un procureur général. On persuada à Fouquet de vendre sa charge, et d'en faire porter le prix au trésor royal. La voix publique accusa Colbert de cette perfidie. On peignit ensuite Fouquet à Louis XIV comme un homme dangereux, qui avait fait fortifier Belle-Isle, qui avait des trésors, des troupes, et des partisans. Louis le crut. L'indiscrétion de Fouquet, qui avait voulu acheter Mlle de La Vallière dans le temps même où elle résistait au roi, lui rendait le surintendant odieux.

    La perte de Fouquet fut donc résolue; et l'on employa pour l'arrêter une dissimulation qu'on aurait à peine pardonnée à Henri III, s'il eût voulu faire arrêter le duc de Guise : tant on avait trompé Louis XIV sur la prétendue puissance du malheureux surintendant ! Il fut jugé par des commissaires. Séguier, son ennemi déclaré, fut un de ses juges, ainsi que Pussort, allié de Colbert. Le Tellier le persécutait avec violence. On disait alors : « Le Tellier a plus d'envie que Fouquet soit pendu; mais Colbert a plus peur qu'il ne le soit pas. » La commission ne prononça qu'un bannissement perpétuel ; ceux des juges qui, par leur fermeté, empêchèrent