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Le peuple au même instant rentre en ses premiers droits ;
Il peut choisir un maître, il peut changer ses lois
Les états assemblés, organes de la France,
Nomment un souverain, limitent sa puissance.
Ainsi de nos aïeux les augustes décrets
Au rang de Charlemagne ont placé les Capets.
La Ligue audacieuse, inquiète, aveuglée,
Ose de ces états ordonner l’assemblée,
Et croit avoir acquis par un assassinat[1]
Le droit d’élire un maître et de changer l’État.
Ils pensaient, à l’abri d’un trône imaginaire,
Mieux repousser Bourbon, mieux tromper le vulgaire.
Ils croyaient qu’un monarque unirait leurs desseins ;
Que sous ce nom sacré leurs droits seraient plus saints ;
Qu’injustement élu, c’était beaucoup de l’être ;
Et qu’enfin, quel qu’il soit, le Français veut un maître.
Bientôt à ce conseil accourent à grand bruit
Tous ces chefs obstinés qu’un fol orgueil conduit :

    n'aurait pas eu les mêmes occasions de mettre dans leur jour les vertus du héros; on n'aurait pas pu lui faire donner des vivres aux assiégés, ni le faire aussitôt récompenser de sa générosité. D'ailleurs les états de Paris ne sont point du nombre des événements qu'on ne peut déranger de leur point chronologique; la poésie permet la transposition de tous les faits qui ne sont point écartés les uns des autres d'un grand nombre d'années, et qui n'ont entre eux aucune liaison nécessaire. Par exemple, je pouvais, sans qu'on eût rien à me reprocher, faire Henri IV amoureux de Gabrielle d'Estrées du vivant de Henri III, parce que la vie et la mort de Henri III n'ont rien de commun avec l'amour de Henri IV pour Gabrielle d'Estrées. Les états de la Ligue sont dans le même cas par rapport au siège de Paris; ce sont deux événements absolument indépendants l'un de l'autre. Ces états n'eurent aucun effet, on n'y prit nulle résolution; ils ne contribuèrent en rien aux affaires du parti; le hasard aurait pu les assembler avant le siège comme après, et ils sont bien mieux placés avant le siège dans le poëme; de plus, il faut considérer qu'un poëme épique n'est Pas une histoire : on ne saurait trop présenter cette règle aux lecteurs qui n'en seraient pas instruits :

    Loin ces rimeurs craintifs, dont l'esprit flegmatique
    Garde dans ses fureurs un ordre didactique;
    Qui, chantant d'un héros les progrès éclatants,
    Maigres historiens, suivront l'ordre des temps.
    Ils n'osent un moment perdre un sujet de vue :
    Pour prendre Dôle, il faut que Lille soit rendue,
    Et que leur vers, exact ainsi que Mézeray,
    Ait fait tomber déjà les remparts de Courtray.
    Boileau, Art poét., ch. II. (Note de Voltaire, 1723.)

  1. Corneille a dit dans Cinna, acte V, scène i re :
    Sans vouloir l'acquérir par un assassinat.