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Ce roi qui par ma bouche implore votre appui,
Partageant les forfaits de son barbare frère,
À ce honteux carnage excitait sa colère.
Non qu’après tout Valois ait un cœur inhumain,
Rarement dans le sang il a trempé sa main ;
Mais l’exemple du crime assiégeait sa jeunesse ;
Et sa cruauté même était une faiblesse.
« Quelques-uns, il est vrai, dans la foule des morts,
Du fer des assassins trompèrent les efforts.
De Caumont[1], jeune enfant, l’étonnante aventure

  1. Caumont, qui échappa à la Saint-Barthélemy, est le fameux maréchal de La
    Force, qui depuis se fit une si grande réputation, et qui vécut jusqu'à l'àge de quatre-vingt-quatre ans. (Note de Voltaire, 1723.) — Il a laissé des mémoires qui n'ont point été imprimés, et qui doivent être encore dans la maison de La Force. (Id., 1730.)



    Mézeray, dans sa grande histoire, dit que le jeune Caumont, son père, et son frère, couchaient dans un même lit; que son père et son frère furent massacrés, et qu'il échappa comme par miracle, etc. C'est sur la foi de cet historien que j'ai mis en vers cette aventure. (Id., 1723.)

    Les circonstances dont Mézeray appuie son récit ne me permettaient pas de douter de la vérité du fait, tel qu'il le rapporte: mais depuis, M. le duc de La Force m’a fait voir les mémoires manuscrits de ce même maréchal de La Force, écrits de sa propre main. Le maréchal y conte son aventure d'une autre façon : cela fait voir comme il faut se fier aux historiens.

    Voici l'extrait des particularités curieuses que le maréchal de La Force raconte de la Saint-Barthélémy :

    Deux jours avant la Saint-Barthélémy, le roi avait ordonné au parlement de relâcher un officier qui était prisonnier à la Conciergerie; le parlement n'en ayant rien fait, le roi avait envoyé quelques-uns de ses gardes enfoncer les portes de la prison, et tirer de force le prisonnier. Le lendemain, le parlement vint faire ses remontrances au roi : tous ces messieurs avaient mis leurs bras en écharpe, pour faire voir à Charles IX qu'il avait estropié la justice. Tout cela avait fait beaucoup de bruit; et, au commencement du massacre, on persuada d'abord aux huguenots que le tumulte qu'ils entendaient venait d'une sédition excitée daus le peuple à l'occasion de l'affaire du parlement.

    Cependant un maquignon, qui avait vu le duc de Guise entrer avec des satellites chez l'amiral de Coligny, et qui, se glissant dans la foule, avait été témoin de l'assassinat de ce seigneur, courut aussitôt en donner avis au sieur de Caumont de La Force, à qui il avait vendu dix chevaux huit jours auparavant.

    La Force et ses deux fils logeaient au faubourg Saint-Germain, aussi bien que plusieurs calvinistes. Il n'y avait point encore de pont qui joignît ce faubourg à la ville. On s'était saisi de tous les bateaux par ordre de la cour, pour faire passer les assassins dans le faubourg. Ce maquignon se jette à la nage, passe à l'autre bord, et avertit M. de La Force de son danger. La Force était déjà sorti de sa maison; il avait encore eu le temps de se sauver; mais, voyant que ses enfants ne venaient pas, il retourna les chercher. A peine est-il rentré chez lui, que les assassins arrivent : un nommé Martin, à leur tête, entre dans sa chambre, le désarme, lui et ses deux enfants, et lui dit, avec des serments affreux, qu'il faut mourir. La Force lui proposa une rançon de deux mille ccus : le capitaine l'accepte; La Force lui